Contraste - London, music & drugs

Fût un temps, tu étais DJ. Connaissant le monde de la musique pendant des années, tu t’étais fais des connaissances dans le domaine. Peu à peu, le temps et l’arrêt de ta carrière en temps que «Joker» avaient été arrêtés, mais les contacts ne se perdaient pas avec toi. D’autant plus que ton métier actuel pouvait toujours être utile pour les gens du milieu. T’étais donc pas étonné de recevoir un coup de téléphone d’un ancien pote, pour ne pas dire ami car le temps efface les liens, qui te propose alors de venir en remplacement dans la soirée pour une galère. T’hésites. Ca faisait longtemps que t’avais pas gratté de cordes en public. Juste pour ton plaisir personnel, maintenant. Tu grognes et il prend ce grognement pour une réponse positive au bout du fil. Il te connait un peu.

Quelques heures plus tard, te voilà habillé avec un tee-shirt large sans manches qui descendrait jusqu’à tes genoux s’il n’était pas bloqué dans ton jean serré. Le joint entre les lèvres, la musculature évidente, t’observe et attend dans la nuit. Ombre parmi les ombres, lorsque tu repères la silhouette de ton vieux pote qui émerge de l’entrepôt où va se trouver le concert, tu te diriges vers lui et lui tend la main.

« Yoichi’! Ca faisait longtemps mon ami.»

Il ne se contente pas de te serrer la main, mais bien de se tirer lui-même vers ta masse musculaire pour te prendre dans ses bras, les tâtant au passage d’un rire railleur et d’un clin d’oeil.

« Je vois que t’as pris de la masse, c’est cool, c’est cool. »

Il te lâche enfin la grappe pour sortir le même cinéma à un autre homme. Tes yeux l’encerclent de haut en bas. Il te dit quelque chose, mais c’est vague. Il semble s’appeler Kris, de ce qu’en dit l’homme qui vous à fait venir ici. Il s’éclipse ensuite, vous demandant d’attendre encore un moment le temps des préparatifs. T’es pas timide, alors tu tends la main à «Kris».

« Salut. J’suppose que t’es le guitariste vocaliste ? Parce que s’il compte sur moi pour chanter, j’pense qu’on peut repartir maintenant. »

T’esquisses un sourire et tires sur ton joint. T’étais pas mauvais chanteur. Ta voix pouvait être agréable si t’y mettais les formes, mais t’étais beaucoup plus intense avec une gratte entre les mains, basse ou guitare d’ailleurs. Tu replaces tes cheveux en arrière dans un demi chignon avant de regarder au loin votre ami commun qui vous appelle pour rejoindre les coulisses. Tes pas s’avancent vers le bâtiment et tu t’engouffres l’obscurité.

Il semblait sympathique, tu ne pouvais pas lui enlever ça. C’était comme si son sourire illuminait les gens présents, sans réellement l’illuminer lui. Tu n’étais pas là pour l’analyser, après tout. Tu hoches la tête sagement, avant de passer une main dans tes poches à la recherche de tes clés. Un tic toujours présent, vérifiant si chaque chose était à sa place. Rassuré, tu sortis les mains de tes poches et suivais le mouvement. Tu ne n’attendais pas à devoir faire trop de performance, tu étais déjà venu dépanner. La remarque du vocaliste te fit hausser un sourcil. Tu n’étais pas prêt à rejoindre les devants de la scène, ce n’était d’ailleurs pas quelque chose dans lequel tu excellais, mais tu pris en compte la remarque.

Le show dura. Longtemps. Parfois tu t’étais essayé à rejoindre dans les choeurs. Tu étais en sueur et fatigué car ce n’était pas le genre de performance qui te faisait briller au quotidien. Tu n’étais pas de ceux qui se défoulaient sur scène. Tu n’étais pas de ceux qui enchainais les heures de concert sans fléchir. Tu avais jeté des coups d’oeil de temps en temps au vocaliste et il semblait beaucoup plus à l’aise que toi sur scène. Un habitude que tu n’avais et n’aurais jamais. Tu n’avais plus l’âge pour avoir autant d’énergie sur la durée. D’ailleurs, lors d’une pause de dix minutes, tu n’avais pas réellement bougé, te contentant de boire et de reprendre ton souffle, si bien que la dernière heure fut la plus longue à tes yeux. Tu commençais à prendre de moins en moins de plaisir mais ta performance ne chutait pas. Lorsque le concert fut sur le point de se terminer et qu’un rappel fut scander par la foule, ton regard en disait long sur la tournure qu’allait prendre cette soirée, mais tu n’étais pas le seul à décider. Passant un coup de drap sur ton front, tu observais alors Kris.

« T’en penses quoi ? »

Tu buvais alors, reprenant contenance. Tu ne voulais pas que son choix se base sur ton attitude, clairement fatiguée. Tu ne voulais pas qu’on se retienne de continuer un show parce que tu avais surement surestimé tes capacités. Comme toujours. Ton ami de longues dates vient alors à toi, semblant vouloir se faire discret, il te prit un peu à part sans réellement l’être. Il murmura alors à ton oreille des mots que tu aurais aimé ne pas entendre.

« Prends-en. »

Tes yeux se baissèrent sur sa main et ton métier secondaire te permettait bien de comprendre ce qu’elle contenait. Te droguer pour continuer, c’était donc ça sa solution ? Tu étouffes un grognement, récupérant ce qu’il a dans sa main pour le garder dans la tienne. Tu n’étais pas si vieux, tu n’étais pas si mal. Quelle connerie. Tu retrouvais un peu d’énervement dans cette action, observant le reste du groupe qui avait alors quelques secondes pour se décider à retourner sur scène pour une demi-heure de plus. Et toi, à choisir ce que tu allais faire de ça.

Tu grognes. Tu n'aimes pas l’idée de prendre des choses, même pour booster tes capacités. Cependant, tu ne peux pas les laisser en plan. Alors à défaut de prendre cette merde, tu prends sur toi. Tu les suis sur scène et ça recommence encore. Tes tympans vont exploser et tu n’as plus l’endurance que tu pouvais avoir autrefois, tu le sais. Tu le sens, dans tes tripes. Ce n’est plus pareil.

Tu passes une main sur ton front en sueur avant d’observer le brun qui te tend un joint. Tu ne devrais pas consommer, parce que tu connaissais tes faiblesses et là, t’avais juste besoin de souffler. Tu refuses donc poliment avant de t’asseoir et d'observer le ciel. Tu cherches dans tes poches comme un désespéré et prend ton paquet de clopes pour en sortir un tube de cancer. L’allumant, t’observes le ciel et les étoiles dans un moment interne qui se veut calme.

Ça s’était plutôt bien passé et tu ne pouvais pas dire que les choses étaient pires qu’elles avaient été maintenant. Tu dévies ton regard vers le sol, beaucoup trop songeur, le cœur toujours palpitant comme si tes derniers instants stagnaient sans se décider si oui ou non t’allais clamser et rester sur ce sol.

«T’es doué. Et encore jeune.»

Il aurait sûrement d’autres choses à vivre. Surement, qu’il avait même une vie qui l’attendait, hors d’ici. Mais toi, toi. Tu continuerais tes trafics jusqu’à ne plus avoir de souffle. T’aimerais pourtant avoir une autre option de vie, mais t’en trouvais pas. D’ailleurs, il n'y avait pas que de ça, dont t’avais pas d’autres options. Amoureusement parlant, c’était pire que tout. Le trentenaire que t’étais commencé sagement à te trouver ridicule dans ton for intérieur.

Fermant les yeux, t’es réveillé par un cliquetis de bières qui s’agitent devant tes yeux. Tu les ouvres et prends l’une des deux qu’on te tendait avant de tendre l’autre à Kris. Tu tirais sur ta clope et redressais le regard vers le plus jeune.

« Merci de l’avoir dépanné, ça lui fait sûrement plaisir. Tu rentres directement après ?»

Tu observais le joint et avec ce qu’il avait pris pour le concert, tu te demandais si c’était bien raisonnable. Surement un défaut professionnel que t’avais de surveillé les moindres consommations de drogues de tout le monde, ou bien un défaut personnel au final. Trop de mauvais souvenirs accumulés. Buvant dans la bière, ton cœur ralentissait enfin.

Doué ouais.
Jeune, pas sur.

- Pleure pas, t'pas beaucoup plus vieux qu'moi tu sais.

Il approche de la trentaine Kris, doucement mais sûrement. Ça tarde à arriver pourtant. Comme si le temps ralentissait, les heures s'étiraient particulièrement dans les moments négatifs d'ailleurs. D'ailleurs. D'ailleurs. Les échos de ces derniers mois, de ces dernières années. Dernières bouffées.
Une bouteille de bière rejoint sa paume.

C'est frais, ça fait du bien. La peau abîmée au niveau de ses jointures se tend, prête à se déchirer à n'importe quel moment tant il s'était acharné sur ses cordes. Parce que c'est ça qu'il faisait toujours : s'acharner sur la vie et tout ce qui la composait. Comme si un jour ça allait aller mieux.
Vraiment ?

- Merci à toi.

Le joint rejoint une boîte de conserve en sa qualité de cendrier improvisé. Le tatoueur pose sur lui un regard de mi-regret, mi-condescendant. Un peu résigné dans son attitude : il attend le niveau supérieur en observant ses camarades du coin d'un œil renard.

- Je pense rester un peu pour me détendre. Il a toujours de quoi faire redescendre la pression.

If you know what I mean, disent ses yeux.

- Et toi ? On pourrait rentrer ensemble si tu veux. T'es venu comment ?

C'est qu'une proposition avec la moitié d'un sous-entendu : Kris n'a pas la tête à baiser même si Yoichi le brancherait bien en temps réel. Là son esprit est focus ailleurs. Ça ne fait pas longtemps qu'il a repris et pourtant, les fourmis se sont faites un creux dans sa poitrine. Les substances aident. L'alcool ne suffit plus depuis bien longtemps. Et au fond ça se voit dans le creux de ses joues plus présents, ses cheveux un peu trop longs, ses cernes un chouilla trop présentes et puis les kilos en moins. La gangrène se repend doucement mais sûrement et vient attaquer jusqu'à l'os. Jusqu'à la moelle. Jusqu'à la raison.

- Eh. Fais tourner au moins. Rigole-t-il en voyant son vieux camarade s'enfiler une pilule à l'aspect bien connu.

Lui aussi il veut un smiley.
L'autre rigole, s'approche et lui attrape la mâchoire pour la relever. Geste que le brun n'accepte pas en temps réel mais pourquoi se prendre la tête alors que son dû s'en vient ? L'hidalgo dévoile sa langue percée, peut-être futurement découpée en deux sur laquelle vient fondre l'acide solidifié.

"J'aimerais partir avec toi et brûler des églises."

Gargantua en arrière fond.

"J'ai mis l'feu à notre Dame, pour te déclarer ma flamme."

Louder. Louder.

"Je veux faire la mort... A... Vec... Toi."

- T'en veux une ou ce serait une faute professionnelle ?

Parce que dans peu de temps, y aura plus dans son sang qu'une simple fumette et qu'un simple smiley.

Ca, t’étais pas sûr. Tu te voyais bien avec pas mal d’années en plus vu la situation, mais c’était surement que dans ta tête. T’esquissais un sourire au remerciement, comme si tu t’y attendais pas vraiment. Au final, ça t’avait fait du bien, maintenant que l’adrénaline était retombée.

Un souffle rapide sort de ton nez, amusé. Tu comprenais très bien ses sous-entendus, et ça te faisait marrer. Tu serais pas contre un coup donné, toi non plus. Si ton esprit et ton coeur n’étaient pas déjà occupés par quelque chose qui allait contre ta propre volonté de base. Dire que tu n’voulais plus tomber amoureux, quel con. Tu tires à nouveau sur ta cigarette, le regard dans le vide après cette réflexion presque insouciante et bien heureuse de la part de ton compagnon d’infortune.

« Moi j’compte pas m’éterniser ici. En train. »

T’supposes. Ton esprit n’est plus tellement connecté à la réalité, perdue dans une vision d’un homme aux courbes d’os. Maintenant c’bon, tu te souviens que oui, t’es venu en train et les derniers - ou plutôt les premiers tôt de la matinée - vont pas tarder. Tu restes focus sur cet objectif pour rester lucide, et ton oeil protecteur surveille les gestes du brun, non pas sans notifier la présence d’un piercing sur sa langue.

Tu lèches les tiennes en réflexe et détournes le regard. Pas ce soir, pas assez, ou peut-être trop. Les émotions s’emmêlent en toi et ça t’énerve. T’aimerais prendre ça, juste pour planer loin de tes soucis sentimentaux qui te bouffent un peu plus. T’es pourtant si loin et si présent à la fois.

« Faut bien qu’un de nous deux puisse amener l’autre à ce foutu train.»

C’était acté, donc. Vous allez rentrer ensemble. T’observes sa descente, son attitude. Tu vois bien que la soirée l’a abîmée, et pas que. Ca date pas d’ce soir, mais t’es personne pour creuser aussi profond. D’ici quelques longues minutes, ça t’dérangera plus et lui non plus. Tu tends le bras et décolles légèrement tes fesses pour attraper son poignet et le tirer vers toi. Ton regard animal se pose sur le fameux vieux camarade, sans mot, pour lui faire comprendre que ce gamin, tu l’avais sous l’aile ce soir et c’était pas la peine d’essayer de le prendre dans une caravane ou que savais-tu ses projets sordides.

Tu le cales entre tes jambes, à même le sol et toi, t’as trouvé refuge sur un tronc alors qu’un feu s’allume dans un tonneau à quelques mètres. Les voix s’étouffent, les braises passent devant vos yeux et tu profites de l’instant. T’attends qu’il se décide à se relever, à montrer des signes d’incohérences ou encore mieux, à s’endormir. Il serait plus facile à transporter, comme ça. La gare était pas si loin, t’pouvais aisément le trainer.

En train.
C'est bien le train. Quoiqu'il n'était pas sûr qu'il y en ait encore à cette heure. Ou alors ceux très tôt le matin ? Ou trop tard le soir ? Son esprit ne filait pas droit, Kris avait du mal à savoir où il était, où il en était et ça ça le faisait grave chier au fond. Avoir l'esprit dans le brouillard n'aidait pas à la concentration. Alors il préférait s'embrumer volontairement le corps en sautant la tête la première dans un tas de substance illicite, plutôt que de sentir qu'il n'avait tout simplement pas le contrôle sur le rythme de ses pensées.
Putain de cerveau que rien ne calme, autre qu'une nuit folle à finir éclaté dans le lit d'un corps, les veines prêtes à éclater sous la pression de l'alcool et les sinus incapable de respirer autre chose que les vapeurs précédemment inhalées par la bouche.

- Faut bien qu’un de nous deux puisse amener l’autre à ce foutu train.

Il l'a vu, ce mouvement de langue sur ses lèvres, le regard qui se détourne. La folie du langage corporel.
Ça le fait sourire un peu en interne parce qu'il est pas con Kris, il sait quand il plait à quelqu'un et c'est carrément le cas du japonais à côté de lui. Timide ? Ou déjà pris ?
Le tatoueur ne force pas mais il ne résiste pas non plus lorsqu'il se fait attirer contre un torse dur. Monsieur aime jouer le protecteur. Ils n'ont pas beaucoup d'années d'écarts, encore moins si on s'intéresse au cérébral mais Yoichi a l'air du genre à avoir envie d'être plus grand. De montrer qu'il est plus grand. Intérieurement ça l'amuse, mais il se tait. C'est bien comme ça et lui, il s'en fout.

Et puis son nouveau dossier est confortable.

Kris tire sur le tube qui a rejoint ses lèvres, regarde plus loin les formes qui ondulent dans le vague. Son crâne tombe avec la lenteur et la lourdeur d'un tsunami sur l'épaule de Yoichi, braque son attention contre la voûte étoilée trop pauvre à cause des lampadaires. Il y reste quelques minutes à dévorer le silence à pleines oreilles avant de murmurer :

- T'veux rentrer avec moi ou rentrer avec moi ? T'as pas l'air sûr, mais j't'impose rien.

Mais j'ai de la place dans mon lit.
J'ai toujours de la place dans mon lit en fait, parce que c'est c'que j'fais de mieux. C'est c'que j'ai toujours fais d'mieux. L'étau du temps se resserre et confuse ses mains, son dos et ses muscles. Les possibilités ne s'étendent plus, au contraire. Et c'est la débandade au loin, mais c'est l'habitude qui ne le fait pas paniquer. C'est comme ça que les choses doivent être, un jour.

- Si t'as quelqu'un, j'préfère pas par contre.

Mais t'fais c'que tu veux.