Contraste - Un baiser de sang et une vodka.

Dès l’instant où il avait quitté le couloir pour se réfugier dans la salle de bain, Andrej cessa bien vite de penser à toute cette situation désagréable. Tremblant, aussi blême qu’un fantôme, il évita de regarder le miroir pour sortir ce dont il avait besoin, s’avachissant sur le carrelage délicieusement frais. Putain ce que ça faisait du bien… Son râle de soulagement se répercutant contre les murs, le russe inspira profondément en fermant les yeux, le froid anesthésiant peu à peu les vagues de douleurs qui secouaient sa carcasse. Ah il avait fier allure comme ça… Mais il paierait tous, sans exception… Il avait déjà tué, s’était déjà débarrassé de corps, il n’hésiterait pas à recommencer sur cette maudite île.

« … Ils aurrraient dû choisirrr de parrrtager le terrritoirrre plutôt que de m’évincer… La gourrrmandise est un trrrès vilain défaut... »

La voix rauque et basse, Andrej se frotta mollement le visage avant de caler sa tête contre le rebord de la baignoire. Il était tellement fatigué… Dormir était si attrayant… Et son sang qui continuait de couler de ses blessures, ruisselant sur le sol dans une couleur rubis étincelante… Hmmm à quoi il pensait encore… Grognant en fronçant le nez, il finit par inspirer profondément en se redressant, rouvrant les yeux pour faire l’état des lieux.

« … Au moins j’ai aucun orrrgane de touché, c’est le prrrincipal... »

Mais il saignait quand même pas mal. Grimaçant, il retira péniblement les tissus qui collaient douloureusement à ses plaies, les abandonnant sur le sol sans s’en préoccuper davantage. Il serait toujours temps de les brûler quand ça arrêtera de saigner…

« Allez... »

Du désinfectant sur une compresse, il gémit en se contractant tandis qu’il l’appliqua sur la plaie de sa cuisse gauche, son souffle se raccourcissant sous l’effet de la douleur. La morsure acide lui déchirait le muscle, de la lave en fusion cascadant dans ses veines tandis que le désinfectant repoussait germes et globules rouge. Lentement, la souffrance lui lacérant la jambe et l‘esprit, il nettoya le trou dans sa cuisse, se mordant les lèvres pour rester concentré. Ça lui rappelait sa jeunesse autant de douleur…

« … Merrrde… La balle n’a pas trrraverrrsé… Fait chier... »

Il allait devoir fouiller dedans pour la retrouver et l’extraire… Merde merde merde ! Tremblant sous le choc et l’épuisement, il finit par ricaner nerveusement en se frottant un nouvelle fois le visage : ça faisait vraiment trop longtemps qu’il n’avait pas douillé comme ça.

« Je vais tous hnnn les crrrever... »

Et c’était une promesse. Soufflant longuement, il commença à glisser ses longs doigts fins sur sa jambe : il devait extraire la balle avant de pouvoir finir le pansement. Enjoy it...

Hmpf… Ce n’était vraiment pas facile de la choper cette saloperie… Lui qui avait pourtant les doigts fins, il était incapable d’attraper la balle qui se baladait dans sa cuisse. A peine l’effleurait-il que la garce bougeait et s’éloignait ! L’éclair de douleur pure qui le zébrait était d’une violence que ça lui coupait le souffle… Les brumes de souffrance rendait son esprit cotonneux et Andrej cligna péniblement des yeux en levant la tête vers le propriétaire de la salle de bain. Altaïr avait donc réussi à se débarrasser du tueur à gage… Pour l’instant. Le brun allait devoir se remettre vite sur pieds pour réclamer vengeance : pas question de craindre son ombre à chaque pas qu’il ferait dans la rue ou dans son entreprise.

« Je suis sûrrr… Qu’avec une jambe en moins, je serrrais quand même c-capable de fairrre de la barrre... »

Un rire désabusé se mourant sur ses lèvres, Andrej souffla lourdement en retirant ses doigts de sa plaie, le regardant téléphoner, la tête pesant lourdement sur le rebord de la baignoire. Son chien hein… Ils avaient plus ou moins grandi ensemble grâce à la relation pro qu’entretenait leur famille, cela faisait des années qu’il pratiquait le sénégalais même s’ils s’étaient un peu perdu de vu durant les derniers temps. Altaïr…

« J’étais trrranquille avant qu’ils ne décident que je sois de trrrop… Et ton chien a un second trrrou à l’épaule. »

C’était difficile de rester concentré… Attrapant mollement la serviette, il l’appuya contre la plaie de sa cuisse, fermant brièvement les yeux, épuisé par tout ce merdier au goût de sang dans lequel il avait l’impression de couler à pique.

« De toute façon, tu t’ennuierrrrais bien vite sans moi venant te dérrranger... »

Soufflant en souriant vaguement, il laissa sa tête glisser jusqu’au genou du directeur du pensionnat, se sentant plus calme grâce à ce toucher. Un moment de faiblesse qu’il s’accordait rarement… S’appuyer sur les autres… Faire confiance… Mais là, maintenant, Andrej ne pouvait que compter sur Altaïr pour vivre ce soir…

« Tu sais trrrès bien pourrrquoi je n’ai pas cédé. Je n’ai pas quitté deux tyrrrans pourrr lécher les bottes d’un trrroisième. Autant rrrentrrrer en Rrrussie… J’ai gagné ma liberrrté et mon indépendance, horrrs de qu-question de les prrerdrrre de nouveau. »

Ces vautours… Arrogants sac de viande. Il allait leur apprendre à fermer leur clape-merde oui.

« C’est mon entrrreprrrise et je fais ce que je veux avec. Les choses aurrraient été sûrrrement différrrentes… S’ils avaient essayé de négocier. Et c’est moi qui suis orrrgueilleux ? Altaïrrr... »

Oui. Si le black n’avait pas été là, ça aurait été sa dernière nuit ce soir… Altaïr… Ce qui pouvait se rapprocher le plus d’un ami… Ou d’un grand-frère… Cela avait toujours été paisible entre eux, réfugiés dans la bibliothèque de son père quand il venait chez eux avec sa famille. Jamais un mot de trop et aucune connerie, très ressemblant et complice avant qu’il ne quitte tout pour l’université puis la rue, la drogue, la prostitution et la mort…

« Je ne peux pas me laisser fairrre. J’ai brrrisé ma laisse pourrr une bonne raison Altaïrrr. Et si ces blairrreaux… N’acceptent pas que je puisse prrrospérrrer sans leurrr apparrrtenirrr… Alorrrs je vais devoirrr trrrouver le moyen… De me débarrrasser d’eux… Définitivement. »

Nettoyer cette île et asseoir sa propre dominance, ses propres règles, en faire son bastion et écraser tout signe de coup d’état… Oui. Cela lui paraissait être un bon programme pour le coup.

Andrej leva les yeux au ciel en riant doucement, la tête lourde sur la cuisse d’Altaïr.

« Je te parrrie ce que tu veux que tu banderrras en voyant ma danse de cul-de-jatte. »

Le brun souffla en fermant les yeux, attendant l’arrivée de ce fameux médecin, épongeant et compressant comme il pouvait ses blessures histoire d’arrêter de perdre son sang. Le carrelage avait prit d’ailleurs une sacrée couleur rubis bien sombre…

« Je les ferrrai tous tomber… C’est eux qui n’ont pas voulu d’alliance Al… Ils ont prrréférrré m’attaquer et cherrrcher à me tuer, plutôt que de négocier. »

Reniflant, grondant sous la contrariété, le russe se relâcha, las. Il était difficilement possible de rester gâché longtemps quand on se vidait de son fluide vital sur un carrelage bien froid. Râlant de sentir son « oreiller » partir de la salle de bain, Andrej se demanda bien de quel couteau le sénégalais pouvait parler avant de refermer les yeux, épuisé. Dans le brouillard de son esprit, il pouvait entendre un brouhaha de paroles sans vraiment comprendre ce qu’il se passait autour de lui.

« J’suis… Toujourrrs sage... »

Marmonnant vaguement en le regardant disparaître, le russe porta attention à celui qui était en train de la soigner, gémissant de douleur tandis qu’il réussit à retirer les deux balles. Se laissant injecter des calmants et des antibiotiques, Andrej grogna avant de regarder Altaïr revenir dans la salle de bain avec des fringues.

« … Merrrci docteur. »

Ne disant rien d’autres, il les regarda partir avant de se relever, abandonnant ses fringues pour faire une toilette de chat. Une douche ? Sérieux ? Impossible. Il en avait pas la force. Et puis il avait peur que ça aggrave ses blessures… Non mais une toilette de chat ça suffisait largement.

Rafraîchit et plus propre que jamais, Andrej enfila maladroitement les vêtements d’Altaïr avant de le rejoindre pieds nus dans le saln. Silencieux, le brun le fixa admirant le jardin avant de se laisser tomber sur le canapé en soupirant lourdement, allongeant sa jambe et se calant pour soulager sa douleur.

« Quand j’avais 7 ans, c’était la prrremière fois que je voyais quelqu’un dans ma bibliothèque. Drrroit comme un i, paumé dans ses pensées, devant la baie vitrrrée, rrregarrrdant les jarrrdins de Mèrrre alorrrs que le soleil inondait son parrrc immense. Je maîtrrrisais enfin le rrrusse, deux ans aprrrès mon arrrivée dans cet endrrrroit de merrrde, suffisamment pourrr communiquer avec les autrrres et ne pas fairrre honte à Pèrrre. Alorrrrs je pouvais parrrler à ce garçon aussi noir que le chocolat, ça serrra facile. Je n’avais personne d’autrrre de toute façon… J’étais si impassible et drrroit, aussi lisse que du marrrbrrre, parrrlant quasiment jamais, on se ressemblait tellement à cette époque… J’étais comme toi. Tu te souviens de ce qu’il s’est passé, quand tu t’es rrrendu compte que je te rrregardais ? »

Pensif, il ne lâchait pas Altaïr des yeux, fatigué.

- Je te parrrie ce que tu veux que tu banderrras en voyant ma danse de cul-de-jatte.

Altaïr ne lâcha qu'une moue méprisante à cette remarque. Mieux valait ne pas y penser, ni même imaginer quoi que ce soit de ce genre surtout qui impliquait Andrej. Si le brun imaginait bien qu'il pouvait plaire à une bonne communauté aux milieux et aux âges divers et variés, il lui était tout bonnement impossible de poser sur les épaules du russe la moindre once d'attractivité. Pour la simple et bonne raison que ... et bien déjà, il n'aimait pas la gente masculine et deuxièmement, c'était Andrej. Voilà, il l'avait vu dans toutes les situations, pas franchement les plus sexy et était de ce fait totalement imperméable à son charme. Et tant mieux.

Le propriétaire des lieux l'écouta déblatérer son jargon jusqu'à l'arrivée du médecin qui prit le relais. A la suite de quoi, il le raccompagna avant d'aller se poser dans son canapé, un livre à la main, ignorant les bruits qui émanaient de sa salle de bain dans laquelle le russe devait certainement se battre pour s'habiller.

- Quand j’avais 7 ans, c’était la prrremière fois que je voyais quelqu’un dans ma bibliothèque. Drrroit comme un i, paumé dans ses pensées, devant la baie vitrrrée, rrregarrrdant les jarrrdins de Mèrrre alorrrs que le soleil inondait son parrrc immense. Je maîtrrrisais enfin le rrrusse, deux ans aprrrès mon arrrivée dans cet endrrrroit de merrrde, suffisamment pourrr communiquer avec les autrrres et ne pas fairrre honte à Pèrrre. Alorrrrs je pouvais parrrler à ce garçon aussi noir que le chocolat, ça serrra facile. Je n’avais personne d’autrrre de toute façon… J’étais si impassible et drrroit, aussi lisse que du marrrbrrre, parrrlant quasiment jamais, on se ressemblait tellement à cette époque… J’étais comme toi. Tu te souviens de ce qu’il s’est passé, quand tu t’es rrrendu compte que je te rrregardais ?

Altaïr leva les yeux vers la présence avant qu'un sourcil ne se redresse pour barrer son front de plusieurs lignes sceptique. Il se souvenait vaguement de leur rencontre oui, même s'il était très jeune et que son intérêt pour les autres enfants étaient particulièrement restreint. Haussant les épaules, il reprit sa lecture en lâchant d'une voix passablement maussade :

- "La vengeance trop faible attire un second crime". Racine. Il marqua un temps d'arrêt, étouffa un bâillement dans sa main et reprit en fermant son livre, Et que si tu continuais de mal me regarder, j'allais t'organiser un rendez-vous avec le chat.

Félin qu'il avait plus tôt dans la même journée, noyé dans la rivière par simple expérimentation.

- Et si nous allions dormir. Je travaille tôt demain. Et toi tu devrais te préparer à rentrer chez toi et potentiellement à déménager.

L'éphèbe se leva, posant son livre fermé sur la table de son salon avant d'avancer vers les escaliers.

- La chambre d'ami est prête, fais comme chez toi.

{hrp: désolée pour le retard mais c'était pas évident ces derniers temps... Je vais tâcher d'être plus active à présent, encore pardon...}

***

Le corps tremblant de douleur, Andrej s'efforçait de garder le silence le temps des soins. Par fierté. Par orgueil. Par stupidité très sûrement. Cela ne l'empêcha pas de soupirer profondément de soulagement tandis qu'il put enfin ne plus sentir ses plaies se faire triturer et panser. Fidèle à son habitude, Altaïr était inflexible et droit dans ses bottes, si imperméable et presque glacial. Oui, vraiment fidèle à lui-même... Pas qu'il attende quoique ce soit de lui de toute façon. Enfin bref.

Refusant la douche au profit d'une toilette de chat, le russe se rafraîchit et effaça les traces de sang avant de s'habiller et de rejoindre le sénégalais en bas. Silencieux, il le contempla un instant pour ensuite le rejoindre sur le canapé, étirant sa jambe, ne le touchant pas. Si classe et distingué, son verre dans une main, son livre dans l'autre, jambes croisées et le corps détendu... Mais Andrej savait à quel point cet homme qui avait grandi avec lui était aussi dangereux qu'une panthère. L'un des rares avec qui il n'avait pas été « intime »... Le seul avec qui il n'avait jamais recherché ça de toute manière : Altaïr était un cas particulier, spécial. Cela lui rappelait leur moment à eux dans la bibliothèque de son père... Il n'y avait jamais que eux deux là-bas, au moins avait-il la paix...

« Mal te rrregarrrder... J'étais si méfiant et en même temps envieux... Je voulais êtrrre toi... Finalement je voulais juste êtrrre avec toi. »

Andrej rit doucement en le regardant se lever, n'arrivant pas à se détacher de sa silhouette si gracile et austère. Encore une fois, il répondait présent pour le sauver...

« Altaïrrr. »

L'appelant, le russe se mit péniblement debout pour le rattraper, se tenant derrière lui.

« Tu connais l'homme qui m'a pourrrsuivi ce soirrr. Dis moi qui il est. S'il te plaît. »

Il avait envie de dormir mais Andrej voulait des réponses, voulait comprendre. Et, quelque part, si le sénégalais le connaissait, il voulait savoir... S'il resterait à ses côtés comme toujours. Si lui aussi risquait quelque chose pour l'avoir sauvé.

« Je veux dorrrmirrr avec toi cette nuit. Je n'arrriverrrai pas à sombrrrer dans les brrras de Morrrphée en étant seul dans la chambrrre. »

Attrapant un bout de son peignoir pour attirer son attention, le russe le regardait avec intensité, la voix ferme alors qu'il lui demandait l'autorisation d'envahir son espace personnel. Oh il ne se passerait rien entre eux mais il avait besoin de sentir la chaleur d'un vivant et d'entendre le bruit de sa respiration pour être rassuré. Il avait encore besoin de lui cette nuit...

Être lui hein... Oui, Andrej n'était pas le premier à aspirer à ceci. Honnêtement, s'il n'avait pas vécu sa vie, dans son corps, Altaïr lui-même se serait envié. Il avait tout ce qu'il voulait ; oh certes la totalité ne lui était pas tombé dans les mains, le prince avait toujours travaillé ardemment pour atteindre ses objectifs. Mais sa naissance avait facilité grandement les choses, on ne peut pas lui retirer ça.

Sans répondre, le brun finit son verre avant que la question du serpent ne le fasse tiquer.

- Tu connais l'homme qui m'a pourrrsuivi ce soirrr. Dis moi qui il est. S'il te plaît.

Le directeur du pensionnat était beaucoup de choses, mais pas stupide. Il ne faisait pas confiance facilement ; en fait il ne faisait pas confiance du tout. Ou très peu. Il fonctionnait à l'attente cordiale et aux gains mutuels plutôt qu'à l'affection profonde. Les rencontres fortuites faisaient les bons amis et quelqu'un d'inutile n'avait pas sa place dans son entourage privilégié.
La loyauté se gagne chez l'éphèbe. Et Jinzo en tant que collaborateur, détenait une part aussi infime soit-elle, de cette loyauté.

Son regard se braqua sur le serpent alors qu'il renfermait son livre d'un coup sec, passablement agacé. Il avait failli perdre énormément dans cette soirée. Rien ne lui revenait, rien n'était à son avantage et c'était un sentiment qui le prenait aux tripes et l'agacait profondément. L'impression d'avoir perdu son temps. Et l'hypothèse que ses relations aient pu être entachées par son... Sauvetage.
Andrej avait vraiment de la chance d'avoir l'étiquette d'ami d'enfance. Car dans un autre cas, il ne se serait pas montré si complaisant.

- Un de mes proches collaborateurs. J'aimerais que tu te tiennes à l'écart de ce groupe, j'ai des affaires importantes avec eux et je ne pourrais pas te protéger une prochaine fois.

Se redressant, il alla poser leurs verres dans son lave-vaisselle avant de revenir et que son peignoir se fasse attraper par le russe. Le propriétaire des lieux claqua légèrement de la langue d'agacement.

- Ne fais pas l'enfant, tu sais très bien qu'il y a des limites à ma patience. Va te coucher. Je te laisserai les clefs en partant demain alors soit chez toi vers vingt heures que je puisses les récupérer s'il te plaît. Passe une bonne nuit.

Et sur ces mots, l'homme agacé remonta dans sa chambre pour profiter d'un repos bien mérité.

HRP: