Ronce - Le pire est avenir.

Sa colère était vibrante et peinait à retomber. Rentrer dans sa chambre et ne plus y retrouver Adasthème avait été le départ de longues nuits de frustration. Lui qui n’avait jamais souhaité s’encombrer d’un humain, se retrouvait embêté du vide que l’un d’eux pouvait engendrer. Et il ne savait pas si c’était ses services ou sa personne qui manquaient à son quotidien, il n’en savait rien, rien d’autre que ce sentiment impossible à identifier, mélange de gâchis, de rancœur, de défaites et de dégoût. Ce qu’il appréciait le moins c’était de se savoir dans cet état. Erebe allait le lui payer, tout le reste de son existence et de la sienne. Parce qu’en exécutant son Calice, il était venu le chercher au-delà de leurs frontières. Il menaçait son entourage. Probablement en réponse à la traîtrise que la vipère lui avait faite en dénonçant son couple auprès d’Alastair. Et ainsi il étendait leur terrain de guerre.

Si Ézéchiel ne s’était à aucun moment attaché aux humains, il était désormais persuadé que plus jamais il ne perdrait son temps avec ceux-ci. Ils n’étaient pas faits pour être raffinés ni pour se présenter. Ils n’étaient que du bétail qu’on bat pour le rendre davantage savoureux, de la viande qu’on endurcit, une vie qui finit toujours par être arrachée. Il ne se sentirait pas comme ça dans un monde où on ne permettrait pas aux esclaves de partager leur nuit au pied ou dans leur lit. Sous son règne, son utopie, il n’y aurait pas de peine pour les moucherons qu’on écrase.

Donc, il haïssait ces derniers jours passés dans ses songes et tous ses derniers secrets. C’était quelque chose qui le rongeait de l’intérieur quand il se retrouvait seul, les doigts presque tremblants d’indignation, de ne plus avoir la patience d’attendre pour accomplir sa vengeance. Qu’un vampire en soit la cause ne fut par contre pas le plus déroutant, mais bien cette envie d’en vouloir à l’espèce inférieure de ne pas être foutue de survivre à son bon vouloir. Plus étonnants encore, ses pas avaient fini par le mener à la salle des Calices après avoir fait une demande bien particulière.

« S-Sir Snake ! »

La misérable chose là pour l’accueillir s’était inclinée tandis qu’il s’engouffrait dans la grande salle aux rideaux rouges. Peu de ronce y traînait ces jours-ci, le système étant vieillissant et ses congénères préférant désormais attraper leur poche de sang dans les couloirs ou lors d’autres événements. D’une focale féline, l’immortel balaya l’endroit du regard, se débarrassant d’une veste lourde qu’il laissa tomber entre les bras de son frêle hôte.

« Le Ronce que vous avez demandé a un peu de retard, Sir, je… j’en suis navré… voulez-vous vous asseoir ? »

Visiblement sa réputation le suivait chez les esclaves comme chez les ronces, et le voir ici n’avait rien de rassurant. Jamais il n’y avait foutu les pieds, puisqu’évidemment adopter un ronce ne l’intéressait pas à moins d’y trouver un intérêt. Il avait néanmoins gardé le souvenir d’un « Maître » un jour susurré contre ses bottes. Une silhouette qu’il avait laissée là, sans nouvelles, sans soins, après s’être brièvement défoulé. En glissant seulement un mot, il avait tout de même fait savoir qu’un indiscipliné attendait dans le donjon qu’on vienne le chercher et qu’il valait mieux qu’on le surveille davantage. Depuis, il n’avait plus eu le temps de s’y consacrer. D’autres soucis l’avaient rattrapé.

Cette silhouette, il l’aperçut justement rejoindre la salle par une autre porte, à l’instant où il préparait une remarque bien acérée auprès de l’incapable à ses côtés. La furie qu’on appelait Sohan et qu’il avait quémandée, un mortel sans peur, une ronce couverte d’épines qui ne demandent qu’à être arrachées, s’était finalement présentée.

*- Tu veux quoi ?

Si les autres ronces et esclaves tremblaient devant la présence d’Ézéchiel en ce lieu, c’était certainement, car la rumeur s’était vite répandue qu’il avait demandé à voir Sohan. Sohan, le ronce le plus indiscipliné et intenable du lot, qui pour sûr rendrait le vampire de mauvaise humeur. Et ce qu’espéraient la plupart était qu’il parte avec l’étranger et ne se rabatte pas sur un autre. Ainsi la tension s’alourdissait au fur et à mesure que le verdict approchait.

Snake savait à quoi s’attendre, cependant. Il connaissait ce genre d’individu inconscient de la vie fragile qu’il portait, qu’en une gifle le vampire pourrait lui arracher. Il en avait croisé suffisamment pour ne plus leur porter aucun intérêt ni aux insoumis ni aux dociles d’ailleurs, et se contenter des poches de sang qu’ils étaient. Puis il y avait eu Adasthème. Le dernier humain en date à l’avoir surpris après tant de siècles sans plus aucune curiosité. Ça, Erebe le savait.

Alors plutôt que de s’apitoyer sur son sort, la vengeance de Snake se ferait sur la continuité de ces derniers changements. Puisqu’il avait trouvé la patience de supporter un calice, il l’aurait à en dresser un autre, tout du moins essayer. Au pire, il le tuerait.

Non, il ne s’était pas attendu à ce que Sohan s’incline devant lui. Il n’avait pas espéré non plus qu’un misérable se souvienne du lâcher-prise qu’il lui avait montré et de la soumission dans laquelle le maître l’avait abandonné. Ces énergumènes représentaient moins que des chiens, plus inutiles, infidèles et capricieux que n’importe quelle autre bête. Sauf que n’importe quel clébard se dresse et n’importe quel homme connaît la peur. Puis ce qu’il y avait de plus intéressant dans ce cas-ci, était que Sohan ne semblait pas connaître cette dernière en travers les craintes qui faisaient généralement trembler son espèce, sans peur de la mort ni des coups, il était une arme potentielle à user. Mais mieux encore, un défi à trouver.

L’immortel pourrait répondre dans la même langue de l’égyptien, puisqu’un être de son âge avait certainement fait le tour de ce que ce monde offrait. Évidemment, il n’en fit rien, puisque Sohan parlait français. Ainsi le vampire comprit la provocation comme elle l’était.

« Prépare-nous un salon », lança-t-il à l’esclave à leur côté, son regard se détachant de l’insolent pour le dépasser sans plus de considération.

Ce n’est que plus tard, une fois installé dans une salle plus intime qu’il s’adressa enfin à l’égyptien. Assis jambes croisées dans un fauteuil, il le jugeait.

« Le dresseur est en arrêt, je suis navré, car sinon c’est avec lui que tu aurais continué à prendre plaisir sous les coups de fouet »

Lionel étant dans l’incapacité d’assurer ses fonctions dernièrement, certains ronces comme Sohan étaient finalement délaissées malgré les nombreux crimes qu’ils commettaient.

« Quand bien même, tu es complètement insignifiant. Sans maître et loin de chez toi, ton comportement ne te sert qu’à te faire tuer pour être enfin oublié. Ça fera toujours une bouche en moins à nourrir et une place dans un lit. »

Le coude sur l’accoudoir, le menton maintenu entre ses doigts aux ongles parfaitement manicurés, il glissa sur lui un regard aussi vicieux que celui d’un reptile.

« Mais si tu restes avec moi, si tu obéis Sohan, je ferai sens à ta misérable vie ici »

Un serpent suspendu, qui siffle, qui attend le geste provoquant sa morsure.

Méchant chien, grognaient les yeux.
Attitude qui lui tira une grimace souriante encore plus franche sur ses traits étirés de jeune homme dans la force de l'âge. Bah alors, sa présence l'emmerdait alors que c'était lui qui était venu le chercher ? On s'amuse, on s'amuse ... mais personne ne parle. La pièce est empli de cette tension à couper au couteau. Les humains ne bougent plus, c'est limite s'ils ne retiennent pas leur souffle. Et le vampire ordonne ; l'esclave exécute ; Sohan lâche un reniflement méprisant, prémisse d'un ricanement qui ne vient finalement jamais.
Quoi ?
C'est un sarcasme infini, à l'orée du dégoût que ressent le brun alors que l'objet humanisé court dans une pièce adjacente. Et la ronce se tient là, les mains enfoncées dans ses poches, le menton droit, le regard narquois, le dos fier. Personne n'est suffisamment fort pour le faire ployer ; il le sait. Mais le défi c'est ce qui anime son esprit forgé de colère : et celui qui se dresse devant lui à l'apparence d'une montagne à gravir pour gagner encore une fois.

Lorsqu'enfin la salle fut prête, l'égyptien la rejoignit à la suite de Snake d'un air nonchalant, les poings toujours fourrés dans ses poches. Son attention virevolta à droite, à gauche alors que déjà le brun prenait la parole et que lui, prenait un malin plaisir à l'ignorer à moitié. Pourtant, les paroles ne tombèrent pas dans l'oreille d'un sourd. Surtout ce qu'il perçut immédiatement comme un compliment.
L'épaule collé à la paroi donnant sur l'extérieur, les prunelles givrées fixèrent un point au loin avant qu'un mince rire rauque ne s'élève.

- Insignifiant ?

Un léger accent. Faible mais présent. Mais il avait parlé français, pourtant - l'une des premières réelles fois -.
Son visage se tourna aux trois-quarts en direction de l'Immortel alors qu'il laissait un sourire mesquin pourfendre ses lèvres :

- Menteur.

Un rire rauque et cassé s'éleva alors qu'une langue fourchue passait sur des crocs humainement taillés.

- T'as pas une gueule à t'intéresser aux garçons insignifiants.

"Homme" ce n'était pas encore intégré, par conter "gueule" très bien. Ça changeait des "fichtre" à tout va.
Lorsque le serpent reprit la parole cependant, Sohan tira la moue, se mettant à observer ses ongles comme une imitation grotesque de son homologue :

- Drôle.

Un mensonge encore. L'être de chair releva ses prunelles sournoises, les braquant sur l'homme à bonne distance de lui avant de claquer deux fois des crocs. Il s'ennuyait, certes. Mais lui, à quel point il devait se faire chier pour venir dans les bas fonds chercher quelqu'un de son espèce ?

- Ta vie à moins de sens que ma vie pour que tu viennes me chercher ici.