Contraste - Interception de livraison

J'ai la flemme de remettre leurs posts du coup débrouille toi avec ça cimer

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La tournure était prévisible, ça oui. Ira ne s’attendait juste pas à ce que la mafia bouge si vite, mais elle avait bien orchestré son coup, il avait assez de lucidité pour le comprendre et le reconnaître. L’appât du faux trafic ne leur laissait pas le choix de se pointer, mais le boulot avait été sale, pour se débarrasser de deux flics, et risqué, aussi. Le type du hors-bord n’avait pas hésité à sacrifier des pions et les deux policiers n’étaient pas encore tirés d'affaires. C’était loin d’être aussi simple, la police devait méchamment flirter avec une corde sensible de la mafia pour qu’elle en vienne à leur tendre un guet-apens pareil. La question – s’ils s’en sortaient vivants – serait de la trouver et de l’identifier. Ira informa vite fait au japonais qu’il allait le rejoindre, conscient qu’il l’entendait. Jinzō savait prévoir les déplacements tactiques sur le terrain et la plupart des annonces du commissaire ne confirmait que ce qu’il savait déjà, raison pour tous ses silences. Peu importe qui l’accompagnait, Ira ne changeait pas ses habitudes de communication en mission. Du moment que l’information passait, le reste n’avait pas d’importance.

Le regard alerte, il surveillait tous les coins en se déplaçant. Si une ombre se glissait entre deux hangars, elle ne lui échapperait pas. Il évitait autant que possible les endroits à découverts, les lampadaires près du port ne couvrant qu’une section. Même si sa vue était bonne, il y avait des limites à la distance où elle pouvait s’étendre au beau milieu de la nuit. À mi-chemin, il entendit des coups de feu dans son oreillette et un pli agacé marqua son front entre ses sourcils. Il accéléra sa course et scruta les environs, mais il n’entendait que l’écho de la lutte au-devant de lui. Merde. Il tenta de prendre un raccourci lorsque la voix du japonais finit par résonner à nouveau.

-Putain ils font vraiment chier !

Ils venaient de perdre le seul gars qu’ils auraient pu ramener et tenir en cellule assez longtemps pour l’interroger. C’était cuisant, comme défaite. Ira n’aimait pas perdre son temps, mais il détestait encore plus rentrer les mains vides. Leur seule piste leur filait sous le nez et ça l’énervait, même si au final ils s’en sortaient quand même en un seul morceau. Enfin, plus ou moins. Ses muscles l’élançaient, le biceps qui avait reçu la balle commençait à en avoir marre d’être sollicité.

-J’arrive et on se casse d’ici.

Il repéra le bâtiment Est et s’y dirigea avec le fusil de sniper accroché à l’épaule, sa propre arme dans les mains. À si petite distance parmi les ruelles étroites, le fusil de longue portée ne lui était d’aucune utilité. Il le ramènerait tout de même au poste pour y effectuer des tests, certain que personne ne pourrait en tirer grand chose. Un autre trafic qui posait problème, quoique pas tant que ça sur l’île. Jamais comme celui de la drogue, celui-là était aussi prolifique que la mauvaise herbe ici. Une vraie saloperie, on arrêtait un dealer qu’il en poussait trois le lendemain. Ira traça sa route en contournant l’immeuble, faisant gaffe à tourner les coins quand une voix bien trop ironique pour appartenir à celle de Jinzō brisa le silence dans son oreille. C’était quoi cette connerie de feux d’artifices ? La mafia faisait dans l’humour, maintenant ? Il ralentit le pas et égalisa sa respiration en se rapprochant lorsque la suite l’arrêta. Cette intonation et cette façon de parler lui semblait familière…

Il resta adossé contre le mur extérieur en réfléchissant, soupesant l’offre, mais avaient-ils vraiment le luxe de la refuser ? Ira avait pensé réquisitionner une voiture et la faire démarrer pour rentrer, mais en auraient-ils le temps ? S’il pouvait se débrouiller pour conduire à un bras, c’était sans compter les possibles blessures du japonais, qu’il ignorait toujours, et impossible de lui demander sans signaler sa présence. La voix portait vers lui en plus, ce qui voulait dire qu’Ira ne pouvait pas bénéficier de l’effet de surprise en arrivant dans le dos de l’inconnu. Génial, vraiment génial… Il releva la capuche de son sweat shirt pour cacher ses cheveux temporairement blonds et se fondre un peu plus dans l’obscurité. Si au moins il arrivait à jeter un coup d'œil sur la scène sans se faire repérer... Jinzō savait se faire suffisamment menaçant ou imposant pour attirer toute l’attention sur lui, ça pouvait jouer à son avantage. Comme de fait, il continua de longer le mur sans faire de bruit, lentement, et comprit enfin pourquoi la voix lui disait quelque chose. Sans même avoir besoin d’apercevoir ses yeux bicolores. Il connaissait très bien cette posture et cette silhouette malgré les dix ans qui le séparaient de la dernière fois qu’il l’avait vue. Poussant un soupir, il se détacha de la zone d’ombre, certain de ne pas surprendre Jinzō qui devait déjà se douter de sa présence, raison pour laquelle il s’adressa à Kris.

-Je croyais que tu te tenais loin des emmerdes, ces temps-ci ?

Le ton était amusé, mais il redevint plus sérieux alors qu’il se rapprochait d’eux.

-J’espère qu’elle est pas loin d’ici ta planque. Jinzō, t'es pas blessé ?

Par habitude, son regard se tourna vers le japonais, cherchant à vérifier son état. Du peu qu’il en savait, ils allaient devoir marcher.

Ce que ça pouvait être pénible toute cette histoire. Et plus le temps passait, plus le japonais pourtant habitué à avoir un contrôle parfait sur ce qu'il ressentait, sentait l'agacement qui se faisait de plus en plus prononcé. Il ne savait pas qui avait gérer cette affaire côté mafia, mais une chose était sûr c'était que quelqu'un allait passer un sale quart d'heure la prochaine fois qu'il s'approcherait de leur base. Toute cette opération n'avait été qu'une perte de temps, peu importait le côté du quel il se plaçait sans compter les blessures qu'il avait reçu...Pour rien on ne va pas se mentir. Et le tout mélangé suffisait à tendre son corps d'agacement, et lui donner clairement envie de passer ses nerfs quelqu'un. Pas maintenant, pas ici mais bientôt. Histoire de leur rappeler quelques petits détails.

L'exclamation d'Ira dans l'oreillette ne le surprend pas outre mesure. Dans le fond ils auraient tous les deux voulu avoir ce type, pas pour les mêmes raisons. Mais les Anglais savaient très bien que leurs types ne tiendraient pas longtemps pour la plus tard d'où cette mission nettoyage si rapide. Ce qui n'en restait pas moins frustrant pour eux deux. Appuyé contre le mur, il ne répond à nouveau pas au policier. Il se contente de l'attendre, silencieux et toujours aussi tendu. Mais pas par le stress de la mission, il sait que le tout est fini et que la mafia se replie, le nettoyeur n'est pas là pour les tuer s'il n'est pas forcé....D'ailleurs il ne devrait plus être là bien longtemps.

Il sait à peut près où est Ira, c'est pourquoi quand une présence se fait sentir, il se concentre dessus sans pour autant bouger, attentif. Trop silencieux pour être un mafieux d'ici, trop calme pour appartenir à une personne égarée. Jusqu'à ce que la silhouette apparaisse enfin dans le champ de vision du japonais. Total inconnu. Mais son attitude fait que son esprit le classe directement dans la catégorie non dangereux, pour lui en tout cas à ce moment précis, ce qui dans cette situation le place dans le même panier que les choses pas intéressantes, le poussant à l'ignorer complètement. Il attendait Ira parce qu'il le lui avait dit mais ensuite il avait la ferme intention de rentrer chez lui et il était suffisamment de mauvaise humeur pour ne pas avoir envie de discuter le sujet.

Finalement l'inconnu nouvellement arrivé attire l'attention du grisé en prenant la parole. Un simple regard noir d'ailleurs pour juste oser venir se mêler de ce qui n'était clairement pas ses affaires. Le type ne lui disait rien et quand bien même. S'il n'avait pas sentit l'autre policier arriver en même temps ou presque et guetter la situation, il aurait presque pu être tenté de passer ses nerfs sur lui. Simplement pour être là avec son ironie qu'il n'avait pas envie de supporter pour cette fois, alors qu'elle aurait juste glissé sans l'atteindre en d'autres circonstances.

-Occupez vous de vos affaires

C'est grondant ce qui sort de sa gorge, et clairement pas amical. Qu'est-ce-qu'on les gens de cette fichue ile, ou peut être de ce fichu pays pour ce qu'il en savait, à toujours vouloir se mêler des affaires des autres c'était ridicule. Sauf que finalement Ira émerge du coin d'ombre ou le mafieux l'avait repéré, ayant sans doute décrété aussi que l'inconnu n'était pas une menace... Ah, apparemment l'inconnu n'était un inconnu que pour lui, le policier avait l'air de le connaître. Bon ce n'était pas comme si cela changeai quelque chose pour lui, ce n'était pas son problème.

Il profite du moment pour sortir une cigarette de sa poche et l'allumer, dissimulant la colère toujours en lui sous des gestes maîtrisés. Le vent s'était levé et dispersait rapidement la fumée, sans compter que s'ils voulaient vraiment les tuer encore maintenant, jamais l'autre n'aurait pu se glisser jusque là sans se prendre une balle. Ce qui du point de vue du japonais était assez dommage mais c'était une autre histoire. Il reste calé contre le mur en tirant sur la cigarette entre ses lèvres, ses blessures cachées par son long manteau du moins quand on ne regarde pas de trop près. Et lui ça lui allait bien, il n'avait pas envie de perdre de temps. Du moins avant que Ira ne décide d'accepter la proposition de l'autre, faisant se crisper sa mâchoire. Il se retient de lever les yeux au ciel à sa question.

-Je vais rentrer chez moi

Et pour le coup ce n'était pas une question, sans compter qu'il ignore celle d'Ira. Il peut se débrouiller et il n'a clairement pas envie de supporter deux autres personnes présentement. Et il sait que le policier comprends très bien tout ce qui se cache derrière cette phrase, c'est le seul qui arrive à plutôt bien le décrypter côté police. Juste Ira ça pourrait encore aller mais l'autre...Bad idea. Il sentait bien sa hanche qui commençait à le lancer salement et il aurait sans doute du mal à arriver chez lui mais... Il n'en était clairement pas au point d'accepter de l'aide ou quoi que ce soit. Fierté mal placée peut être mais tant pis, il ne comptait pas changer d'avis peut importe ce qu'il dirait. Et puis, Ira devrait être habitué, c'était ce qu'il faisait la grande majorité du temps, partir dès que possible peu importe son état...Quoi que là il avait fait fort mais à choisir il préférait prendre un taxi pour rentrer chez lui ce serait toujours moins pire. Donc maintenant il attend juste qu'ils se décident à partir tous les deux, en espérant qu'ils aient l'intelligence de ne pas insister, pour en faire de même. Il se doutait bien que le policier allait insister, il commençait à le connaître mais ce n'était pas comme si le japonais était du genre facile à convaincre et qu'il pouvait le traîner de toute façon. Parce que ce serait la seule façon de l'emmener là où il ne voulait pas aller et autant dire qu'il ne comptait pas se laisser gentiment faire anyway.

Se faire tirer dessus ou quoi que ce soit qui aboutissait à une blessure n'était jamais plaisant, même quand on était dans un domaine ou c'était monnaie courante. Mais s'il y a bien une chose qui en était en général facile à comprendre avec le japonais c'est que lui ça avait tendance à l'énerver. Et dans ces cas là, mieux valait le laisser faire ce qu'il voulait dans son coin pour sa propre sécurité. Comme un animal qui devient encore plus dangereux quand il est blessé. Et là plus encore que d'habitude, le mafieux était...pas fou de rage quand même, il n'était pas si sanguin mais quand même bien énervé. Et le type qui s'était sauvé en hors bord plus tôt aurait été là, que Jin soit blessé ou pas, il n'aurait pas fallu donner cher de sa peau. Et si encore on avait eu la bonne idée de le laisser tranquille qu'il puisse simplement rentrer, ou se trainer selon les points de vu, jusque chez lui ça aurait pu aller mais non.

Comme si aucun des deux n'arrivaient à lire son humeur qui se rapprochait assez vite de celle d'une tempête quand même. Il savait assez se contrôler pour ne pas les frapper de suite qu'ils le laissent enfin tranquille mais il avait de loin dépasser le point d'une envie de discuter ou de négocier quelque chose qui était déjà complètement arrêté dans sa tête. Sans compter que l'autre en rajoutait encore une couche avec ses réflexions et ses remarques complètement stupides...En fait il ne savait pas ce qui était le pire, les remarques en elles-mêmes ou le fait que le tout semble amuser Ira.

Le grisé tire une nouvelle bouffée plutôt agressive sur sa cigarette, retenant la remarque acide qui commençait à lui chatouiller la langue, gardant encore le contrôle pour le moment. Il se retient de lever les yeux au ciel quand il dit que le chauffeur de taxi l'emmènerait directement au poste, c'était presque amusant de voir autant de naïveté alors qu'il était tellement facile de faire faire ce qu'on voulait à ces gens là.

-Je t'ai pas demandé ton avis

C'est encore un grondement qui sort de sa gorge. Il n'est clairement pas d'humeur à discuter ou à argumenter son principe, il est bien décidé à ne rien écouter de toute façon et il sait être borné quand il veut...C'est à dire tout le temps. Il a envie de lui balancer son entrainement à la figure. il s'était toujours débrouillé seul après ce n'était pas deux balles qui allaient le faire changer mais visiblement des gens comme eux semblaient incapables de comprendre. Il serre les dents aux dernières paroles du policier.

-J'irais nulle part avec vous foutez moi la paix

Qu'ils aillent donc jouer les babysitters avec quelqu'un d'autre et le laisse enfin tranquille. Il avait rien demandé alors pourquoi est-ce-qu'ils se prenaient la tête comme ça c'était complètement stupide, il n'était pas non plus par terre en train de crever...Encore que là aussi il aurait été capable de leur dire gentiment, ou pas, d'aller se faire foutre comme il venait de le faire. Son regard est toujours noir, depuis le début de tout ce bazar et il s'assombrissait encore face à leur connerie alors qu'il les balaye rapidement avant de s'éloigner d'eux. Il boite certes, ce serait difficile de faire autrement mais bien moins que ce qu'on pourrait attendre. Lui sait qu'il peut encaisser jusqu'à chez lui et il espère que les deux idiots l'ont compris et vont enfin lui foutre la paix. La douleur des blessures augmentait à chaque instant et il avait déjà assez perdu de temps comme ça.

Il voulait s’en aller d’ici et vite. D’habitude, le japonais et lui s’entendaient bien sur la façon de procéder lors d’une mission de terrain. Ils avaient chacun leurs méthodes, mais ça marchait, et ça aurait sûrement continué de fonctionner s’ils n’avaient été que deux simples flics. Problème étant qu’Ira était également commissaire, donc responsable de l’agent avec qui il se trouvait. Ils n’avaient jamais été blessés comme ça en mission ensemble, la soirée battait des records en termes de catastrophes si en temps normal il se fiait au jugement du policier pour évaluer ses blessures, il ne tenait pas non plus à risquer son poste sur un pari pareil. Il voulait bien se montrer compréhensif, mais il y avait des limites à ne pas franchir, comme celle de croire qu’il donnait un avis et non pas une directive très précise. Sa main tomba de l’épaule de Kris et les muscles de sa mâchoire se raidirent. Il n’avait ni l’envie ni l’énergie d’en débattre, c’était vraiment pas le moment. Il en avait marre, ses fausses lentilles lui piquaient les yeux, il avait un mal de chien à cause de cette putain de balle enfoncée dans son bras, et l’autre il faisait chier parce qu’il voulait pas grimper son cul sur la moto ?

Le japonais usait de sa patience et il lui en restait pas beaucoup, si peu qu’il en vida ses dernières réserves en ajoutant une nette tension entre ses omoplates. Lui foutre la paix ? Il allait lui foutre autre chose à la gueule, ouais. Littéralement. La ganse du fusil de sniper glissa de son épaule et il lui envoya la crosse sur la tête en se retournant d’un coup sec. Le corps s’effondra dans un bruit sourd sur le béton, inconscient, et l’esprit du policier ne pensa alors qu’une chose.

-Merde...

Il poussa un long soupir, parce qu’il y avait Kris à côté, qu’il venait d’assommer un officier et que maintenant ça rendait la tâche encore plus difficile de le transporter. Ira se passa une main sur le visage et remit le fusil sur son épaule.

-Désolé, je suis à bout de nerfs, la soirée s’est mal passée. Promis, je te revaudrai ça.

Il baissa les yeux sur le japonais inanimé, l’air de réfléchir à comment le déplacer.

-Tu crois que si on le met entre nous deux sur la moto… ?

Franchement, il n’avait pas d’autre idée. Kris ne pouvait pas conduire et le tenir en même temps, et impossible de partir en le laissant là. Le seul moyen de quitter les quais, c’était à trois.

-Je pourrais prendre les pieds et toi les épaules ?

Il se penchait déjà au-dessus, mais pour écarter le long manteau et chercher où les balles l’avaient atteint. S’ils devaient le bouger, il fallait y aller doucement et éviter qu’il perde encore plus de sang. Ira identifia une plaie à la hanche gauche et une autre à l’épaule droite. Dans la hanche, la balle s’y trouvaient toujours, ce qui empêchait au moins le sang de s’écouler, mais l'épaule n'avait pas eu cette chance, saleté de sniper. Kris avait probablement une chambre ou un canapé où le déposer tranquille le temps qu’il revienne à lui. Il aviserait ensuite, là il voulait à tout prix se barrer d’ici.

Si Kris avait l’air surpris, au moins il ne paraissait pas trop choqué. Pas sûr à quel point ça le rassurait par contre, il se rappelait les emmerdes à répétition dont lui avait parlé l’italien et de le voir si peu dérangé par la situation en disait long, mais c’était pas le moment de s’arrêter pour en discuter. Leur objectif devait rester de se tirer d’ici le plus rapidement possible, et maintenant que Jinzō était K.O. ils pouvaient commencer à bouger.

-C’est pas le genre de chose qui m’arrive d’habitude.

C’était même très rare qu’il perde patience, Kris en savait quelque chose malgré les quelques mois qu’avait duré leur relation. Ira n’était pas le genre à s’énerver facilement, et ça l’embêtait effectivement d’avoir perdu son sang froid, mais ce qui était fait était fait, il ne pouvait pas revenir en arrière. Alors il se concentra sur le présent et se pencha sur le corps inconscient du japonais pour le soulever en direction de la moto. Il aurait pris sa part du poids malgré les recommandations, mais Kris prit les devants et le policier songea qu’il allait vraiment lui en devoir une pour le coup de main de ce soir. Il sentit une paire d’yeux se poser sur eux, mais ils n’avaient pas le luxe de s’attarder sur les coups d'œil d’un curieux au milieu de la nuit. Il allait faire quoi, appeler les flics avec une description floue de deux types aux abords des quais ?

La position sur la moto était des plus inconfortables et l’équilibre des plus précaires. Comme Kris conduisait, il tenta au mieux de maintenir le corps trop grand de Jinzō entre eux, tout en évitant qu’il glisse et tombe sur le bitume. C’était une chance que l’italien n’habite pas très loin, mais moins qu’il ne vive pas au rez-de-chaussée. Ira leva les yeux vers l’escalier en colimaçon et eut très envie de laisser le japonais reprendre conscience dans le hall d’entrée, pourtant il descendit de la moto en attrapant son bout comme précédemment. Ils le hissèrent jusqu’en haut et passèrent la porte d’un loft, bifurquant vers un lit défait où ils posèrent l’endormi. Son bicep s'élançait à en crever, mais deux secondes de pause semblait trop pour Kris qui repartait déjà en lui donnant encore une fois l’impression d’être trop familier avec ce genre de situation. Ira n’avait aucune raison de s’opposer au plan, au demeurant parfait dans sa suite logique, et entreprit de déshabiller suffisamment Jinzō pour mettre en évidence ses deux blessures. Il en profita aussi pour retirer ses lentilles de contact et son sweat shirt, en-dessous duquel il portait un simple t-shirt foncé.

Lorsque Kris revint, Ira se tenait assis sur une chaise près du lit, mais il s’en releva assez vite pour se pencher sur la trousse complexe qu’il avait ramenée avec lui. Il attrapa une pince avec laquelle il pensait être en mesure de retirer la balle de son bras. Il avait déjà vu des mecs se soigner tout seuls, mais il n’avait jusqu’ici jamais eu à effectuer le tour de passe-passe lui-même. Ça n’allait pas être une partie de plaisir alors aussi bien en finir. Pendant que Kris s’occupait du policier allongé, il serra les dents et glissa les pointes de l’instrument autour de la balle dans la plaie. Sa respiration s’alourdit sous la douleur. Il enchaîna de lents et précautionneux mouvements jusqu’à bien tenir le projectile et tira d’un coup. La balle se délogea et tomba par terre avec la pince qu’il lâcha aussitôt en grondant. Il plaqua sa main libre sur son bras et renversa la tête vers l’arrière le temps de souffler, puis ramena son menton parallèle au sol en sentant le liquide épais se faufiler entre ses doigts.

-Cette saloperie est en train de pisser le sang.

Il attrapa un linge humide en vitesse pour l’appuyer sur sa plaie en guise de compresse. C’était pas sorcier, finalement. Il avait sûrement l’air fatigué, mais en dehors de ça il s’en sortait pas trop mal. Assez pour se mettre à observer ce que Kris faisait, et avec quelle précision il le faisait.

-C’est le genre de truc que tu fais sur toi ou sur les autres en temps normal ?

Ouais, il voulait savoir. Il se doutait que Jinzō en soit capable, ça l’étonnait pas trop vu le personnage, mais le Kris qu’il avait connu faisait pas ce genre de choses. Pas que ça le dérangeait, ça avait clairement son côté pratique, mais quelque part ça l’emmerdait aussi qu’il en soit arrivé là. Sans compter qu’il y avait pas mal de trous à combler en dix ans, et il fallait bien commencer quelque part. Son premier choix ne se serait pas arrêté sur ça, mais il avait jamais choisi grand chose avec Kris, et les années ne semblaient pas prêtes à changer la donne.

Pressé d’en finir avec la balle logée dans son bras, il avait omis de répondre à Kris pour s’en débarasser au plus vite, puis il avait oublié le garrot avant de la retirer, c’était stupide. Ira le savait pourtant, on n’arrivait à rien de bon en sautant des étapes, c’était le meilleur moyen de commettre des erreurs. Il le vit dans le roulement d’yeux de l’italien et prit une inspiration pour calmer son impatience et se focaliser sur ses instructions. Il lâcha la compresse le temps de glisser un bras dans la manche de son t-shirt pour le faire passer par-dessus sa tête jusqu’à son biceps où il l’enroula comme il pouvait. Sur l’un de ses flancs, la déchirure héritée d’une clôture lors d’une poursuite dans une ruelle finissait de guérir. Il avait eu de la chance ces dernières semaines, d’autant plus que ce soir aurait pu très mal finir.

-Compris, j’reste tranquille.

Il regarda autour de lui en maintenant la pression sur son bras. Il avait cru voir l’affiche du White Leviathan en bas et ramena les yeux sur Kris lorsque sa vision périphérique détecta la source de lumière de son téléphone. Ses mains manipulaient les instruments avec minutie, c’était fascinant à voir, pas tant pour les gestes en eux-mêmes mais pour la concentration sur son visage. Ira pouvait sans mal l’imaginer se pencher et marquer des peaux à l’encre avec cette expression-là. Kris finit par se détacher de son travail le temps d’une œillade en sa direction et le sourire au coin sur ses lèvres en amena un semblable sur celles du commissaire.

-Une curiosité personnelle plutôt.

Encore une fois, son attention fut attirée par la lumière à présent sous forme de flamme et il observa la stérilisation de l’aiguille entre ses doigts, resserrant la pression sur son biceps en attendant qu’il termine de recoudre le japonais. Même si pour le moment ça allait encore, le tissu de son t-shirt continuait de boire le sang de sa plaie et il n’était pas sûr de s’en sortir sans quelques étourdissements.

-Tentant, mais j’crois que je vais éviter.

Il tendit la main pour attraper les cotons et la bétadine histoire de les garder à portée et retira lentement le t-shirt autour de sa blessure. Le vêtement était méchamment imbibé et le saignement continuait encore. Pas beaucoup, juste assez pour noyer une dizaine de cotons couverts d’antiseptique. Entendant le diagnostic sur Jinzō, Ira sortit son téléphone pour envoyer les recommandations au japonais par texto si jamais il se réveillait avant l’aube et décidait de leur fausser compagnie, puis remit un dernier coton sur la plaie pour l’empêcher de se remettre à saigner, s’efforçant d’ignorer l’instabilité momentanée du sol sous ses pieds.

-Le mec était à deux mètres de moi, difficile de me louper.

Ira avait bien remarqué pour le sang, il commençait à le sentir aussi, mais c’était une bonne chose d’apprendre que le muscle n’était pas touché. Les points devraient réussir à régler le problème, seulement Kris marqua un temps d’arrêt et le policier tourna ses yeux vers lui. Mauvaise nouvelle, le brun n’avait rien pour l’anesthésier, ça allait être douloureux et pas moyen de compter sur de la glace pour atténuer la morsure de l'aiguille sans risquer l’infection. Ira voulut acquiescer lorsque l’index de l’italien lui releva le menton, fixant son regard dans ses prunelles calmes et bicolores. Kris disait pouvoir l’emmener aux urgences, mais... Il y avait un mais, et la voix du policier vint égaler la sienne.

-Je veux pas aller aux urgences.

Il posa les doigts sur son avant-bras, juste sous sa main gantée. Ça lui paraissait tellement loin dix ans, et en même temps si proche maintenant qu’il était à nouveau devant lui, avec des traits beaucoup plus matures que ceux de ses souvenirs.

-Je préfère rester ici.

Il remit la main sur sa cuisse et lui confia son bras en prenant une grande inspiration.

-Tu veux pas me raconter un truc ? N’importe quoi, que je me concentre sur autre chose que les trous que tu vas me faire dans le bras.

Clairement il ne s'était pas attendu à cette issue pour cette conversation. Bien sûr qu'il savait que son attitude et ses paroles n'allaient définitivement pas plaire au commissaire mais, en plus de s'en foutre royalement, il l'avait bien cherché. Lui et son copain retrouvé n'avait qu'à le laisser en paix depuis le départ, s'ils l'avaient laissés rentrer chez lui simplement comme il comptait le faire dès le départ, tout ce serait bien passé.

En s'éloignant malgré ce qu'ils avaient dit, et ce que Ira lui avait plus ou moins ordonné, il s'attendant à entendre râler, peut être même des cris ou qu'il essaie de le retenir par la force, ce qui ne serait pas totalement impossible vu son état mais il ne comptait pas se laisser faire pour autant si cela en arrivait là, et il finirait par laisser tomber en voyant que le japonais était toujours aussi entêté. Ce n'était pourtant pas compliqué et ce n'était pas non plus comme s'il était en train d'agoniser sur le trottoir. Anyway.

Il voit le mouvement vif du policier du coin de l'œil et aussitôt, instinctivement il commence à se retourner dans l'idée de parer le coup qui venait vers lui. Mais le fait qu'il ne s'attende pas à cela plus le ralentissement causé par ses blessures fait qu'il ne peut rien empêcher du tout et il n'a pas le temps d'essayer de se protéger qu'il sent un coup violent contre son crâne, puis plus rien. Même pas le choc contre le sol quand il tombe, rien du tout, assommé net le mafieux, signe s'il en était besoin que le policier n'y avait pas été de main morte. Et s'il se doute qu'on le déplace jusque chez Kris, en tout c'était le plan de départ de ce qu'il avait retenu, mais il ne sent rien non plus.

Ce n'est que plus tard qu'il finit par commencer à revenir. D'abord loin de la conscience mais juste le retour des sensations, une certaines douleur au niveau de ses blessures, il sent qu'on le manipule aussi. Des choses qui le feraient réagir en temps normal mais il était encore trop sonné pour le moment pour tenter quoi que ce soit. Alors il attend, patiemment, qu'il soit en état de faire quelque chose. Les voix à côtés de lui lui signalaient que Kris et Ira n'étaient pas loin de lui et apparemment concentrés sur les soins à apporter au policier.

Il finit par ouvrir les yeux pour observer son environnement, une chambre apparemment et s'il avait su que c'était celle de Zack ça aurait presque pu l'amuser. Il voit également que les deux autres ne lui prêtent aucune attention pour l'instant ce qui l'arrange bien. Sa mâchoire se crispe malgré tout, agacé par l'ensemble de cette situation dont le fait de se retrouver ici, il ne supportait pas tout ça. Même si à ce qu'il sentait, ses blessures avaient été soignées et apparemment bien, enfin ça il aurait le temps de vérifier chez lui. Il se redresse pour remettre sa tenue en place, taisant sa douleur au mouvement, la mâchoire crispée, avant de se lever avec la ferme intention de s'en aller d'ici, sans lâcher un mot ou leur accorder un regard.