Ronce - Le Kamasutra en langue des signes.

Quelques jours sans tentatives de fuite, c'était quand même un exploit pour lui. Certains devaient se dire qu'il préparait un assaut de la capitale en entier, vu comment Sohan était calme. Les faits n'étaient pas si éloignés des pensées. Quels étaient-ils ? La réflexion.
L'égyptien n'était pas l'humain le plus intelligent du monde, loin de là. Il préférait foncer, quitte à s'écorcher sur des murs de ronces que réfléchir à la manière la plus safe de les contourner. Mais on ne pouvait pas lui enlever un trait de caractère qu'il cachait sous une bonne dose de cris et de vulgarité : le malin l'habitait, le genre de lumière sordide à l'arrière de la prunelle. Malsaine, tapis dans un coin comme un prédateur à l'abris des hautes herbes. Les pupilles fendues en direction de sa proie.

Les attaques frontales n'avaient pas fonctionné et à présent, il ne pouvait plus profiter de l'effet de surprise. Très bien, il allait falloir la jouer plus finement. Attraper de ses serres empoisonnées ce qui pourrait lui servir. Guider les naïfs dans son lit, ensorceler quelques esprits attristés de leur solitude par le roulis de ses hanches. Si l'égyptien n'avait pas encore trouvé de moment pour faire apprécier les talents de son corps tenté par la musique, cela ne saurait tarder. Chaque chose en son temps. Merlin était certainement l'un des plus difficiles à atteindre et paradoxalement, le tenir par la laisse s'avérerait certainement aisé. Mais la prudence était de mise, Sohan avait bien conscience qu'il prenait parfois trop rapidement les choses pour acquises. La facilité n'était pas de son côté cette fois-ci. De quoi l'emmerder grandement.

Viser bas mais commencer tôt. Dès le réveil à vrai dire.
Vivre la nuit ne le dérangeait pas spécialement même s'il était resté dubitatif face à cette règle. Mais après tout, pourquoi pas. Cela dit, ça ne l'épargnait pas de sa routine habituelle : se réveiller, grogner en se rendant compte du lieu dans lequel il se trouvait, bailler, grogner encore, rester allonger, se masturber, se laver, s'habiller à moitié et sortir trouver de quoi se nourrir. Hum ? Quelque chose choque ? Ouais, c'est vrai que sortir à moitié nu vu la température n'était pas la chose la plus intelligente du monde. Et concernant la masturbation, c'était un passage obligatoire. Sans ça, pas un poil de bonne humeur de la journée et Dieu savait à quel point Sohan était déjà insupportable lorsque tout allait bien. C'était plutôt histoire de sauvegarder les oreilles des habitants du manoir qu'il faisait ça après tout. Quelle bienveillance ...
Alors après son deuxième grognement de la journée, la Ronce repoussa sa couverture du pied, glissant sa main entre ses cuisses vers l'objet déjà bien réveillé de son intérêt. Des vêtements ? Pourquoi faire, on dormait mieux sans non ? Et la porte surement laissée ouverte par un des ses colocataires ? Tant mieux. Si un vampire passait par là, ce serait le moyen d'attirer son intérêt et de mettre en place son plan diabolique pour conquérir le monde.

C'était bien. Pas vraiment calme, pas vraiment doux. Plutôt agressif et brusque, comme un peu tout ce qu'il faisait. Y avait que quand il ondulait des hanches de toute manière, qu'il pouvait se montre sensuel. Le reste du temps c'était la colère contenue - ou pas - qui sort sous n'importe quelle forme. Et peu important qui se la prend dans la gueule.
Là c'est pareil. Il aurait pu prendre son temps, être en bottom ça ne le dérange pas vraiment. En fait, c'est plutôt ce qu'ils veulent en général. Couche toi, monte ton cul, creuse les reins.
Miaule.
Ça, il savait faire. Faire semblant d'être épuisé et de s'endormir aussi. Pour leur faire baisser leur garde et les dépouiller plus aisément par la suite.

La masturbation, c'est un entraînement comme un moyen de se détendre ; pas vraiment adepte des caresses, ses gestes sont assez rapides, précises. Habitués surtout, il se connait, lui et ses zones sensibles. Jouir c'est pas le plus compliqué, c'est ne pas le faire qui l'est.
Dos brisé dont la colonne n'accepte de ne toucher le matelas qu'aux premières et aux dernières vertèbres, les seuls bruits entre les quatre murs lugubres donnent sur sa respiration éparse. Courte et rapide, sèche. Rien de langoureux, rien de félin. Des soupirs, un léger grondement lorsque la pression se resserre contre les pourtours de son extrémité. Un craquement lorsque ses mâchoires se contractent à la suite d'un râle rauque, synonyme de délivrance.
Et le bruit sourd d'un corps qui s'étale sur le sol.

- Désolé... suis tombé... pas attention à moi... continue...

Les deux sourcils se haussent en même temps, surpris et pourtant pas si étonné, de la présence gênée d'une gamine dans sa chambre. Fils ou garçon ? Bof, c'était pas vraiment important nan ? Et ce qu'il avait dit ? Bah, il savait dire que "fichtre" lui. D'ailleurs c'est c'qu'il dit, mais d'un ton moqueur qui donne tout le poids d'un crachat aux deux syllabes :

- Bah alors, t'as jamais vu une bite ? Fichtre.

Bleh.
Posant la plante de ses pieds contre le sol, la Ronce déroula sa ligne dorsale pour marcher sans aucune pudeur jusqu'au blond, s’accroupissant juste sous son nez. L'oeil torve du chat qui s'est trouvé un nouveau jouet. Félin, désormais. Le retour.
Sa langue passe sur sa paume souillée, visiblement satisfait de l'embarras du pet-sec inconnu qu'il apporte par le menton pour le relever brusquement. Histoire de lâcher une nouvelle question, un nouveau murmure incompréhensible pour le français qui n'a aucune connaissance en linguistique.
Son attention se baisse en direction de l'entrejambe du nouveau venu, histoire de vérifier l'absence ou la présence d'une réactivité qui pourrait provoquer un amusement supplémentaire. Bon, c'était pas un vampire, mais il ferait l'affaire. Testons d'abord les capacités du petit humain à rester calme dans une situation incongrue. La-dite situation étant la présence du pouce encore tâché d'une viscosité transparente qui tirait la lèvre inférieure de son vis-à-vis, l'invitant d'une taquinerie sournoise à ouvrir la bouche.

Dérangé ? Pas tant que ça, l'autre ne l'avait même pas violemment repoussé. C'était quoi ça encore ? Pourquoi y avait de la pitié dans ses yeux à lui au juste ?
On va pas se mentir, Sohan n'aimait pas plus que ça se faire contempler comme un pauvre chaton abandonné. Déjà parce qu'il n'avait pas d'oreilles pointues et toutes douces, ensuite parce qu'il ne miaulait pas - stop les blagues salaces - et enfin parce qu'il n'était pas "pauvre" à proprement parlé. Alors il faut avouer que oui peut-être, PEUT-ÊTRE, l'attitude du blond eut pour effet de l'énerver un brin. Soyons clairs, énerver le gars qui passe sa vie à cogner les murs dans les couloirs, qui chasse, se bat et court des marathons depuis qu'il est gamin, c'est peut-être pas la meilleure idée du monde.

Autant dire que la réaction de défense du plus petit sauva certainement son alignement dentaire. De peu.
Les prunelles beaucoup trop claires de l'égyptien se posèrent sur son poignet maintenu d'une force quasiment inexistante, alors qu'il levait un sourcil. Bah ? Il était pas content ? Et qu'est-ce qu'il blablatait aussi, il comprenait rien lui.
Par contre, le contact contre son torse le fit réagir au quart de tour. Une main sur son avant-bras pour l'arracher à sa cicatrice encore beaucoup trop fraîche, l'autre qui saisit la mandibule inférieure, pouce calé derrière les dents du dessous et reste des doigts coincés sous le menton. Décollage d'un coup sec : le vicieux n'a pas attendu que l'autre se relève pour le faire en l'entraînant vers le haut, tenu de simple fait par la mâchoire et d’évidement, sa main la plus sale.

- Quoi, tu veux t'amuser ? On va s'amuser si y a qu'ça, p'tite chatte en chaleur.

Bah oui, il rougissait forcément pour ça non ? Et puis, il était quasiment sûr que les cons d'ici n'avaient aucune sexualité. Aucun moyen de s'amuser. Pas que l'égyptien voulait vraiment se taper la blondinette, nan : il n'était pas difficile mais c'était pas vraiment son type en fait. Il les prenait généralement plus ... adulte. Formé. Puissant.
Une petite préférence pour le pouvoir ?
Si au moins il tentait de le cacher ?

Haussant de nouveau un sourcil, il tint la main de l'inconnu pour l'amener à hauteur de son visage avant de lui faire faire un mouvement dans le vide de haut en bas, comme un coulissement dans l'air, avant de pointer du menton son bassin. Le relâcher ? Pourquoi faire, au moins il n'allait pas s'enfuir.

- Quoi, t'as jamais vu un mec se branler ? T'es pucelle ou quoi.

Il comprenait pas quoi dans le fait que l'égyptien n'était visiblement pas apte à intégrer ses propos du fait de son incompréhension de sa foutue langue ? Moche au passage, la langue. De la méchanceté gratuite, on adore.
Non, parce que la demoiselle n'arrêtait pas de japper, s'en devenait très rapidement fatiguant. Lassant même. Elle allait japper pour autre chose si elle continuait et ça n'allait pas être spécialement plus agréable. Finalement, sa prise se desserra et il relâcha le plus jeune, avant de lui tourner le dos pour aller attraper un pantalon a minima, ainsi que s'essuyer la main. Parce que la salive, ça colle et le sperme aussi. Comme à peu prêt tous les fluides corporels lorsqu'on y pense bien.

- T'es vraiment une tafiole toi, comme le reste du manoir. C'est chiant d'être ici, je m'ennuie ! Tu voudrais pas genre, on fait un truc ? Ah, c'est vrai tu piges rien à c'que j'dis. L'avantage c'est que j'peux te traiter de fillette, tu bites rien eheh.

Rire grinçant échappé de la bouche du malin alors qu'il revenait face au damoiseau, croisant les bras sur son torse sec, en haussant un sourcil.
Laissant ses vertèbres ployer vers l'avant, il entreprit de marcher tranquillement autour de l'autre Ronce, traçant quelques cercles en le regardant sous tous les angles. Mmmh pas mal. 'Fin, pour une gamine. Ca passe. Il devait avoir une bonne vie celui-là. Pas de marques, pas de bleus. Pas de tatouages non plus, tiens. Quoique, ce n'était pas vraiment étonnant. Les marques à l'encre, ce n'était pas vraiment ce qu'il avait le plus croisé depuis qu'il était ici.

- Qu'est-ce qu'on pourrait t'faire faire d'intéressant ...

Très bonne question.
Ah ! A bien y penser, il connaissait peut-être des vampires prêt à chopper n'importe quelle Ronce pour un peu de sexe, non ? Mieux ! Du sexe contre service. Alalah, ça l'intéressait beaucoup ça. Bon, maintenant, lui faire comprendre avait l'air un peu plus compliqué.
Se plaçant devant lui, droit comme un piquet, Sohan pointa son doigt sur la poitrine du blond. On allait commencer doucement : en premier le prénom. Lorsqu'il l'eut, il plaça ses deux index sous sa lèvre inférieure pour mimer de longues canines, avant de pointer une fois encore la poitrine de la blonde pour au final former un anneau entre son pouce et son index gauche, et fait passer son index opposé à l'intérieur du-dit anneau.
Si avec ça il n'était pas assez clair, il ne savait pas comment s'y prendre.

Bon, visiblement la gamine n'était pas aussi stupide qu'elle en avait l'air - et pourtant ... -. Abi. C'est ça qu'elle avait dit, nan ? Bon, ça passe. Parce que le premier mot qui semblait être le prénom complet - ou le nom ? - avait un accent qui ne lui revenait pas. La langue de ces pleutres n'était décidément pas à son goût, trop dure, trop accentuée. Où étaient passés les somptueux roulis de son arabe natif ? Il y avait de quoi perdre quelques nouveaux chants aquatiques entre les barrières de ses papilles.

Le deuxième mot, il ne le comprit pas. Ou du moins, il ne tenta pas de le répéter mais un mince plissement de paupières indiqua qu'il en avait enregistré la sonorité. Quand au rougissement qui suivit, il ne servit qu'à lui arracher un haussement de sourcils : comment c'était possible d'être aussi prude ? De ce qu'il avait vu, les humains ne naissaient pas à l'intérieur du manoir, si ? Sinon il y aurait aussi des filles et à part la blonde fasse à lui, Sohan n'avait vu aucune paire de seins humaine distribuer allègrement ses charmes aux recoins de chaque couloir. Ou alors, ils les tuaient à la naissance.
Prude et fana d'infanticide, en plus d'être tous des PD.
C'est qu'il ne pouvait pas tomber à un meilleur endroit, lui.
Tout ça pour dire qu'il ne comprenait pas comme un humain qui - visiblement - devait être né à l'extérieur des riches murs du manoir avait fait pour survivre sans vendre son corps. Un bourgeois peut-être ? A quel point était-il ignorant des pratiques qui s'exerçaient sous ses pieds ? D'un froncement de sourcils bref, Sohan décida de s'intéresser davantage à ce qu'il se passait de l'autre côté de son carreau.

Il s'apprêtait d'ailleurs à se diriger vers celui-ci avant qu'un geste ne l'arrête. Les prunelles givrés se posèrent d'un coup sec contre les mains du plus jeune qui visiblement semblait prêt à se prêter au jeu.
Lui.

- Sohan.

La voix sans accent égyptien qui tonne dans la chambre. Tonalité grave et salvatrice d'un nom qu'il avait appris à prononcer à la française à l'insu de son kidnappeur. Il ne fit pas particulièrement attention au changement de voix qui suivit la modification du dialecte. Pas plus qu'il ne fut attentif aux mouvements qui défilaient derrière la porte encore entrouverte de sa sordide pièce à coucher.
Toute l'attention braquée sur les gestes du plus petit finit par se tourner vers un coin du plafonnier, se calant à l'angle d'une poutre d'un oeil ennuyé. Chiant. Y avait pas grand chose d'autre à dire que ça. D'ailleurs, son profond et bruyant soupir forcé renforça l'attitude désopilante qui était la sienne.

Bon. Pas de sexe avec lui. Tant mieux.
Nouvel essai.
Un doigt, un anneau une nouvelle fois. Suivit de son index qui cogne le torse de la ronce, puis du mime des crocs et un nouveau haussement de sourcil, cette fois-ci accompagné d'un rictus aussi curieux que sarcastique. Il tint même à se pencher sur son centre d'intérêt comme pour écraser davantage la domination imposée par sa taille.
Un chat sadique qui joue avec un souris particulièrement frêle.
Y avait pas plus drôle que la porte qui se fermait à ce moment-là, d'un claquement sonore comme pour le couper de toute potentielle future fuite.

Ça commence à l'agacer, ce dialogue de sourds. L'humeur de Sohan prend un tournant à 180 degrés. Des degrés peu agréables lorsqu'on sait qu'ils consistent à tirer ses envies vers la glace.
L'autre sourit à son prénom, ça lui fait plisser les yeux. Méfiant et même un peu agacé. Il suit chacun de ses gestes des yeux, cherche à y déceler une fuite, un essai.
S'il court, il le bouffe. C'est simple. C'est l'instinct. Et quelque chose lui souffle que la blonde l'a très bien compris, vu sa manière de revenir vers lui. Les muscles tendus, un peu vers l'arrière, non sûr de sa position, du placement de ses membres.
Aie peur.

Et il parle, encore, de ces termes qu'il ne saisit pas, qui le chauffent vers un énervement de plus en plus distinct sur son visage. Les traits qui se tendent et le poing de la main dominante qui s'ouvre et qui se ferme. On entend des bruits derrière la porte, un passage ennuyé ou un cheminement vers un but bien précis. Sohan n'était pas idiot : on allait surement venir le chercher. Merlin, allait surement venir le chercher.

Un grondement roule sous son palais alors qu'il se rapproche de l'autre Ronce, le saisit par la gorge, l'esprit embrouillé de ce qu'il n'arrive pas à comprendre. "Marcher", quoi "marcher" putain ? Ça le tend, le fait rugir de cette rage de se sentir impuissant dans la communication alors que seulement quelques instants plus tôt, il s'amusait follement à torturer son confrère.
La pulsation carotidienne sous sa main ne le fait que serrer un peu plus. Dans sa tête, y a un hurlement qui retentit, lui ordonne de lâcher surement, ou l'encourage peut-être. Le peu de raison qu'il lui reste. Et puis y a une poigne brusque derrière son épaule, un coup dans son ventre qui le plie, trouve refuge dans ses muscles abdominaux. Le fait reculer. Lâcher.
La blonde se débat.
Grave erreur.
Ça hurle de rage par sa gorge, ça se débat comme un chien fou dans sa tête. Et de nouveau, Sohan ferre de ses serres et s'apprête à dépecer la chair. Tout l'humour de la précédente scène balayée.
Le tournant à 180 degrés s'est réchauffé. Et tout ce qui sort désormais de sa bouche, c'est un torrent d'insultes à l'encontre de la blonde, de ce pays, de la neige, du froid, de Merlin.
Merlin. Y a que son nom qu'on capte dans les hurlements. Et y a chacune de ses parcelles, qui transpire la rage.
Sa vision est flou alors il ne voit pas, mais il sent - et dieu que c'est bon -.

Crac.

Sec.
Et puis d'un coup, le corps entier de la ronce devient mou, ballotté entre la poigne de la bête qui serre, enfonce ses griffes, tire quelques coulures sanglantes à la nuque déjà brisée. Le crâne cogne. Une fois. Deux fois sur le sol, mais y reste avant la troisième fois.
Sohan a posé sa haine sur le corps sans vie d'Abigaïl et alors que ses pupilles démoniaques se posent sur l'écoulement sombre, un rictus s'étire sur ses traits, distend sa peau à la manière d'un clown.
La satisfaction palpable.
Sa langue vient cueillir à même la peau tiède la vie qui ne coagulera plus qu'une dernière fois.

Il ne le voit pas. Pourtant son regard est posé dans sa direction, sur son visage même. Mais l'information ne grimpe pas jusqu'à son cerveau. Elle reste bloquée sur sa rétine, étouffe les quelques restes de violence qui habitaient encore ses mains. Ses doigts qui tremblent encore, sous l'effort, sous l'adrénaline. Une crispation qui pourrait s'apparenter à celle de son muscle cardiaque, parce que pourtant, ça avait été facile. Rapide et efficace.
Comme s'il avait déjà fait ça. Pourtant, aucun souvenir ne refait surface. Mais ça avait été comme évident.

- Tu n’y es pas allé de main morte, jeune homme. Tu es malchanceux que je sois tombé sur ce que tu as fait. Car à présent que je sais, je devrais te punir en conséquences. Dis moi qu’avait-il fait pour mériter ce sort ?

Il y a quelques mots, seulement, qui trouvent les oreilles et la compréhension de Sohan. Le reste n'est qu'illusoire. Il est plutôt focus sur le sourire qui avait étiré les lèvres du vampire. Ses mots ressemblent à des réprimandes, mais l'égyptien n'y croit pas. Tu ne me feras pas croire que tu es énervé.
Toutes ces fichues lois que l'Immortel tente de lui renvoyer à la figure. Des lois auxquelles lui-même n'a pas l'air de croire ou d'adhérer. C'est faux. Ça ment.
Les humains mentent.
Les vampires mentent.
Ici, tout le monde ment en permanence. Et Sohan, ça lui arrache les méninges, le pousse à la faute.
Et pourtant, "la faute", ce n'est pas le corps gisant sous lui. L'étranger s'était fait un plaisir d'arracher la vie à son propriétaire. Il n'avait aucunement l'intention de se défendre, d'essayer de prouver une innocence qui ne lui sciait guère. Alors sa seule réponse aux faux reproches qu'il ne comprenait pas, fut d'étirer un sourire satisfait, plein de crocs et d'amusement. Ses prunelles brumeuses de la jouissance d'avoir serré et cogné se posèrent sur le vampire qui se relevait, accompagnant le mouvement de tout son long. Et sous la violence qui coulait des iris sanglantes, Sohan ne laissa échapper d'un ricanement franc.

- Il ne fallait pas.

Personne ne le comprendrait ici, certainement pas le brun.
Le meurtrier se releva tranquillement, lapant le sang qui restait collé au coin de ses lèvres, avant de pousser le tas de chair inerte du pied. Il s'était bien amusé. Et se sentait prêt à rester calme quelques jours. Le cadavre hanterait surement ses rêves pendant un moment mais l'égyptien en riait déjà d'avance, ignorant totalement le bourreau alors qu'il s'étirait en se dirigeant vers une cruche pour boire un peu.

La gueule en sang, il aurait pu mordre à pleines dents dans un coeur de porc, qu'il aurait été moins sale. Mais la viscosité, l'odeur âcre, la teinte que ça laissait sur sa peau, ce n'était pas ça qui allait déranger Sohan. Ça n'allait pas tarder à tomber, certainement ; il fallait être stupide pour penser le contraire. Mais stupide, l'étranger l'était. Ou plutôt "ailleurs". Le choc et la sensation de la nuque qui se brise, du corps qui se vide de la vie, ça avait fait monter dans son ventre plus que du plaisir ; un véritable orgasme. La dopamine avait contaminé ses neurones, aussi sauvage que la gangrène et il n'aurait par ailleurs pas été surpris de découvrir son sous-vêtement souillé.
C'est surement pour ça qu'à l'attaque du vampire, la Ronce ne se débattit pas. Un mince gémissement, mélange de douleur et de plaisir, glissa hors de sa cavité buccale, alors qu'il tournait un œil un peu vague vers l'épaule qu'il pouvait ne serait-ce qu'un peu apercevoir.

Là, appuyé contre le torse qui ne se soulève que trop rarement pour être humain, l'étranger ne remue pas. Mais ses muscles ne sont pas tendus, la tension de l'inquiète n'est pas présente, non et ce n'est pas non plus la peur qui le paralyse. Sohan, stupide être dénué de bon sens, se repose contre le poitrail ferme qui soutient son dos, ses jambes un peu fatiguées qui ne demandent qu'à couler dans un lit chaud et doux. Prêt à ronronner jusqu'au bout de la nuit, l'animal, reput d'un meurtre comme s'il n'avait été qu'un délicieux repas.
La griffe qui passe contre sa bouche, réveille un frisson, une chatouille ; une mince zone sensible qui lui tire un ronronnement satisfait, étire la pointe d'une langue traîtresse qui vient goûter à la phalange d'un naturel stupide. Un peu trop irréel.

Et puis le sol - encore, ça devenait une habitude - contre ses genoux qui avaient l'habitude d'avaler la terre à grandes enjambées. Toujours retenu par ses mèches, l'étranger se retrouve presque immobile devant le corps sang vie, bientôt pourrissante de la petite blonde. Et le cri, encore, qui ordonne, oblige et réclame qu'il s'exécute. Hmmm ... pourquoi a-t-il besoin de tant hurler ... Si son esprit est bien loin de capter les risques, sa colonne vrille tout de même d'un pic de stress instinctif.
Alors avant que le vampire ne le relâche enfin, Sohan avait déjà tendu le bras pour saisir les fils dorés mi-longs de la tête d'Abigaïl. Et sans aucune once de pitié ou de considération pour ce qui, un jour, avait sourire, rit et vécu comme lui, il tire, provoquant de nouveaux craquements de vertèbres, afin de l'amener vers lui. Lentement mais sans prudence au point d'en vaciller même un peu, l'égyptien retrouva le sol sous ses pieds, tirant la tête prête à se décrocher de la plus jeune, pour au final la soulever suffisamment pour la balancer sur son épaule. Légère. Une plume, une femelle ; Non, Sohan ne regrettait pas.

Un mince début de bâillement commença à s'en venir, alors qu'il remuait assez les reins pour permettre un craquement salvateur. Yes, god, qu'est-ce qu'on fait maintenant, hey, daddy ? L'arrogance dans son regard, raconte.

Sohan n'avait pas grande idée - en réalité absolument aucune - de qui était ce gars qui venait déjà de lui gueuler dessus mais en même temps de ne pas lui défoncer totalement la gueule alors qu'il venait quand même d'arracher la vie. Mais dans l'état de demi-flou intellectuel dans lequel il se trouvait, l'égyptien n'était pas vraiment en mesure de pousser la réflexion plus loin. Alors, se chargeant du corps sans vie de la blonde, la ronce emboita le pas à l'individu qui le mena dans des lieux insoupçonnés du manoir. Le cerveau relativement amorphe se chargea tout de même de retenir les informations géographiques, avant de se retrouver dehors, dans la neige.

- Plus vite. J’ai pas la journée.

La poussée dans son dos le fit trébucher jusqu'à s'étaler lamentablement par terre dans un grondement d'agacement. Putain, pas besoin d'être aussi sec, il avait compris qu'il avait fait une connerie. Cependant, le gel qui se forma immédiatement sur ses mains se chargea de le ramener à la réalité : froid. Neige. Vent. Putain, il détestait ce temps, ce pays de merde et ... et l'autre mort qui ne pouvait pas s'enterrer seul. Fais chier. La ronce commençait à se dire qu'elle aurait simplement du la bouffer pendant qu'il était encore temps.
Lorsqu'ils arrivèrent dans un coin un peu plus éloigné qu'une simple dizaine de mètres, le vampire s'arrêta.

- Creuse. Creuse avec tes mains ce sol, jusqu’à ce que je te dise d’arrêter. Refuse de le faire et c’est toi que j’enterre vivant au fond d’un trou...

Debout prêt du cadavre, l'égyptien fixa son regard sur le brun avant de hausser un sourcil. Alors, ce n'était pas clair mais en toute logique, il fallait creuser. Sauf que l'autre ne lui tendait pas la pelle, ne semblait même pas décidé à le faire. Creuser avec les mains, il en avait l'habitude ; mais là, après la poudreuse, on parlait d'une terre dure et gelée depuis des années. Son attention se posa sur la pelle, le sol, le corps, puis de nouveau sur le regard aussi dur que la pierre d'Erèbe et là il comprit qu'il n'avait pas le choix. Alors dans un grognement, la ronce s'abaissa.

Ses phalanges devinrent rapidement incapable de se déplier totalement alors qu'il balayait la poudre blanche sur les côtés. Bien plus profonde que ce qu'il pensait, il arriva finalement au sol qu'il commença à gratter. La terre se défaisait par morceau, petit bloc solide qui s'effritait à peine. Rapidement, ses ongles arrachés commencèrent à saigner, laissant son ADN partout autour d'eux. Le trou ne se faisait que lentement, Sohan grelottait fortement, faiblement habillé par ce temps. Déjà plusieurs dizaines de minutes qu'il creusait, des engelures commençaient même à tracer leur habit bleuté contre sa chair. Un cailloux vola, atterrissant sur le corps mort, avant que le plus jeune n'émette un sifflement de douleur à la suite d'un craquement. Son poignet venait de laisser entendre un bruit sourd qui n'avait rien de normal. Creuser en tremblant autant n'avait rien de facile, même si un petit trou se formait doucement sous lui, mais clairement pas assez long, large et profond pour servir de tombe à Abigaïl.

Ses doigts endoloris ne semblaient plus être capable de rien : ni de creuser davantage, ni de se plier ou même de se déplier un minimum. Sohan grattait avec ce qui s'était transformés en serres, avec la force de la motivation, de la rage, de la bête qui n'avait jamais eu le droit à un instant de feignantise. C'était dur. C'était douloureux. C'était long, c'était froid, ses phalanges avaient fini par lui faire mal, puis par être anesthésiées, tout comme ses genoux. L'odeur du sang prenait de plus en plus de place et semblait combler grandement le vampire non loin de lui. Vampire qui finit par l'autoriser à terminer son exercice à l'air d'un outil.

Tout de suite, ça allait beaucoup plus vite.
Les mains fortes du chasseur se refermèrent sur le manche et ainsi, il eut la sensation que jamais il ne pourrait les en décoller. Des morceaux de terre glacées tombèrent à côté du trou, s'arrachant durement au reste de la surface grâce à la pelle salvatrice dont il faisait bon usage. Et lorsqu'enfin la crevasse s'annonça assez profonde, Sohan dut fournir un effort gargantuesque pour lâcher l'instrument qui tomba à ses pieds dans un grognement sourd. Le corps plein de sueurs froides, les yeux qui ne semblaient plus du tout amusés de la situation mais pas moins hargneux, la Ronce redressa la tête vers son bourreau.
Une seconde. Une seconde pour croiser son regard. Une seulement avant que la stupeur ne le prenne d'assaut, que son coeur ne cesse de battre et qu'il se sente précipité dans le vide.
Puis, il eut l'impression que ses poignets allaient se détacher et son attention se porta, toujours figée, sur le visage amusé du grand brun.

- Oups, j'ai presque oublié que ce n'était pas toi qui devait aller dans ce trou. Navré.

Putain le bâtard.

Sohan fixa l'animal d'un oeil hargneux avant de lever une jambe pour tenter un coup de pied sur sa main. Bah vas-y, lâche, qu'est-ce que t'attends hein ? Mais avec l'absence de force qu'il garda, sa botte n'arriva jamais à son but et il retrouva un équilibre relativement stable alors que le vampire allait installer le défunt dans sa dernière demeure. Tch. Chez lui, on les laissait dehors un peu en bordure de la ville pour nourrir les hyènes et éviter qu'elles ne pénètrent les murs de la cité. Les gens d'ici étaient trop sentimentaux.

- Si tu ne veux pas mourir comme lui, il va falloir te taire garder le silence autrement je serais navré de devoir faire en sorte que tu le rejoignes dans les bras de la mort. Ne fais plus de mal à un autre humain autrement, je devrais me charger de te briser ces mêmes doigts endoloris que tu as, uns par uns.

Les extrémités abimées de ses bras rejoignirent ses poches pour tenter de s'y réchauffer un minimum alors que le visage de l'animal demeurait bas, même s'il continuait à le regarder d'en-dessous. Et puis le brun reprit sa pelle s'en attendre et commença à refermer le trou. C'était bizarrement beaucoup plus rapide que la première étape. Et lorsqu'enfin la tombe fut scellée, il poussa même du pied de la neige dessus, afin de la faire un temps soit peu disparaître. C'était mieux, bien mieux. Le corps fatigué mais l'esprit toujours armé de cette rébellion qui ne le quittait jamais, Sohan lâcha d'un grognement grelottant :

- 'peux rentrer ?

N'allons pas jouer davantage avec l'arabe, ses membres n'arrivaient plus à se retenir de trembler désormais.